Au Théâtre Les Déchargeurs Matthieu Dessertine met en scène Démons du sulfureux auteur Lars Norén (1944-2021). Fidèle au climat insurrectionnel, qui enveloppe l'univers mental du théâtre du Suédois, ce spectacle rythmé et fiévreux interroge le thème du naufrage du couple, empêtré dans ses tensions.Démons fait partie d’une trilogie écrite à la fin des années 80, avec Cendres et La Veillée, articulée autour du deuil de la mère. La dramaturgie théâtrale de Démons s'articule autour d'une scène de ménage se déroulant dans l'appartement d'un couple (Frank et Katarina). Ce jeu douloureux et masochiste persiste et les épuise depuis des années.
© Chloé Signes / Benjamin Porée
Démons - Théâtre Les Déchargeurs
Et le couple, rongé par les problèmes, invite Jeanne et Tomas, leurs voisins, à prendre un verre. Le théâtre de Lars Norén, disparu le 26 janvier 2021 du Covid-19, est très particulier. Il se profile à la fois hyper psychologique et violent à l'extrême. Le paroxysme de cette violence sera atteint dans Démons lorsque Katarina se fait verser par Frank sur la tête l'urne contenant les cendres de sa belle-mère. Il y a certainement un côté un peu bouffon et nettement outrancier, peut être même un peu daté - la pièce date de 1984, les années fric et glamour ! - dans ce feu d'artifice conjugal imprégné de tragique et de boulevard.
© Chloé Signes / Benjamin Porée
Démons - Théâtre Les Déchargeurs
D'une certaine façon, comme Harold Pinter, Ivan Viripaev ou Marius von Mayenburg Lars Norén englobe l'histoire et le grand voyage du couple dans des rivages d'ironie glacée et d'hypocrisie monstrueuse. Mais il le fait sans doute d'une façon encore beaucoup plus expéditive que les autres. Etude au scalpel du couple sur fond d'alcoolisme et de névrose, l'histoire de Démons nous plonge dans l'enfer d'être ensemble, en couple ou en famille, explorant toutes nos propensions au mensonge, à la haine, à la trahison. rappelant à l'infini notre animalité sous l'aimable vernis social. Ces thèmes omniprésents chez Norén, de la névrose du milieu familial aux déviations sexuelles en passant par la démence ou la rébellion permanente des enfants doivent sans doute être mis en parallèle avec sa propre vie.
© Chloé Signes / Benjamin Porée
Démons - Théâtre Les Déchargeurs
A vingt ans Norén fut interné en hôpital psychiatrique pour schizophrénie et dut affronter des électrochocs et l'isolement. Toute son oeuvre est d'ailleurs marquée par divers traumatismes. L'on remarquera que toute la progression narrative de la pièce s'articule autour d'un quatuor, d'où un véritable effet théâtral. Efficace et prenante la mise en scène de Matthieu Dessertine se construit en parfait raccord avec les contours de ce texte tourmenté sur la passion destructive et la solitude des êtres. Dans les rôles de Frank et de Katarina Damien Zanoly et Marion Lambert s'avèrent très percutants dans leur jeu de séduction cruel et nihiliste.
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Démons - Théâtre Les Déchargeurs
Anthony Boullonnois et Ambre Pietri (Tomas et Jeanne) sont également très crédibles dans un jeu difficile de couple témoin puis acteur. La première partie du spectacle nous laisse deviner la fascination muette de Jeanne et Tomas pour leurs voisins démonstratifs mais aussi leur angoisse et leur répulsion secrète de devenir un jour comme eux. La seconde partie du spectacle nous les montre empêtrés dans le jeu de pouvoir initié par Frank et Katarina, confrontés à leurs démons, à la fois rassasiés et détruits. Ces quatre personnages forment en fait tout le nerf de la pièce. Traversée de noirceur et d'élans le drame de Démons se profile sans doute plus complexe qu'il n' y paraît à première vue. Pour le metteur en scène Matthieu Dessertine : « Ce texte est vraiment une initiation à l'amour, à l'amour le plus fou.»
durée : 1 h 50
Démons
Texte : Lars Norén
Traduction de Louis-Charles Sirjacq | Edité par L’Arche Editeur
Mise en scène : Matthieu Dessertine
Jeu : Anthony Boullonnois, Marion Lambert, Ambre Pietri, Damien Zanoly
Théâtre Les Déchargeurs – Salle Vicky Messica
3, rue des Déchargeurs
Paris 1er
horaires : mercredi, jeudi, vendredi, samedi (21 h)
jusqu'au 27 novembre 2021
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