Dans un brillant essai Bernard Genton propose une intéressante analyse de l'essor des séries américaines. Véritable phénomène de société, les séries, en particulier américaines, alimentent en permanence - à bon marché ! - nos plates-formes numériques pour le plus grand plaisir des consommateurs. Progressivement elles sont même devenues, avant le cinéma et le livre, le premier bien de consommation. Cet ouvrage, qui vient de sortir chez les éditions L'Harmattan dans la collection « Logiques sociales », est d'autant plus intéressant qu'il échappe au piège de la fascination béate pour le sujet dans lequel tombent parfois bon nombre d'universitaires - les séries depuis plusieurs années font l'objet de multiples thèses ! Sans être neutre ou sec l'auteur décortique les séries américaines avec méthode et parfois même avec une certaine bonhommie intellectuelle stimulante, nous rappelant à la fois l'histoire de ses origines et ses codes et usages pas toujours évidents à décrypter. Cette histoire des séries américaines se trouve liée à la fois à la concurrence de la télévision américaine avec le cinéma hollywoodien mais aussi à l'essor des chaînes commerciales (ABC, CBS, NBC) et aux nouveaux réseaux. A l’origine, les séries TV étaient, en Amérique, des sitcoms radio diffusées aux heures de grande écoute. Puis, le succès venant, les productions se sont accélérées, envahissant le petit écran après les infos du soir (Mission : Impossible, La Quatrième Dimension, Les Envahisseurs…). Les années 80 amorcent un réel changement dans le phénomène des séries. A propos de cette mutation l'auteur écrit : « C'est ainsi que l'on vit apparaître, au début des années 1980, des séries moins stylisées, plus proches de l'expérience personnelle et sociale des spectateurs, comme Hill Street Blues, feuilleton policier diffusé sur NBC à partir de 1981, ou St Elsewhere, qui reprenait le genre hospitalier, également sur NBC, l'année suivante» (page 34-35). Les séries ainsi seraient devenues au fil des décennies des miroirs de notre société. Pour François Jost, spécialiste des médias, les séries à succès mettent pour la plupart en scène « des personnages qui nous ressemblent ». Dans son livre Bernard Genton en évoque un bon nombre, de la préhistorique sitcom I Love Lucy (CBS, 1951-1957) à l'emblématique série politique The West Wing (A la Maison Blanche), diffusée sur la chaîne commerciale NBC pendant sept ans (1999-2006). Il englobe naturellement les plus saluées et commentées par la critique comme Six Feet Under, The Sopranos, The Tire, Lost, Breaking Bad, Mad Men, Game of Thrones, House of Cards, Homeland. Dans La machine à fictions Genton nous rappelle aussi que ces séries sont enfermées dans une perpétuelle contradiction structurelle « marier les impératifs économiques et les projets artistiques ». Par ailleurs l'on assiste à une variété thématique de plus en plus prononcée : série policière, judiciaire, médicale, psychologique, politique, sexuelle... Dans La machine à fictions l'auteur nous rappelle l'indéniable qualité de certaines séries sans oublier la dimension parfois esthétique. Mais il nous avertit aussi de la menace que peut faire peser une industrie aussi massive, notamment dans nos habitudes de consommation. Il écrit à juste titre : « Le caractère aliénant que reprochaient Irving Howe, Dwight Macdonald et d'autres à la culture de masse n'a pas disparu, et il a pris d'autres formes : on songe notamment à l'aspect addictif de bien des créations sérielles » (page 128).
Bernard Genton, La machine à fictions Une histoire critique des séries américaines, essai, éditions L'Harmattan, collection « Logiques sociales - Etudes culturelles », 148 pages, 2021
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