Les éditions Points ont eu la bonne idée de rééditer L'Autre art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs (2021) de Benjamin Olivennes. Dans un essai à la fois stimulant, documenté et sincère, l'auteur dressait un état des lieux plutôt inquiétant de la politique culturelle étatique française.
* remise en ligne de la chronique Blog de Phaco du 14 juin 2021
« La plupart des musées d'art contemporain du monde se ressemblent, comme des duty free d'aéroports. On y retrouve les mêmes noms, les mêmes objets, la même impersonnalité », remarque avec une certaine amertume Benjamin Olivennes dans son livre sur l'art contemporain. La dénonciation des dérives voire de l'imposture de l'art contemporain n'est pas nouvelle. Déjà dans des essais percutants Jean Clair ** dénonçait le snobisme et la médiocrité des institutionnels de la culture, mettant en avant selon lui des artistes sans réelle envergure au détriment de vrais talents. Et sans doute depuis les années 60, et cela vaut encore pour aujourd'hui l'art contemporain, ou plutôt sa médiatisation servile et outrancière par les médias, constitue probablement un frein psychologique pour apprécier pleinement de la part du public la véritable essence de l'art moderne. La liste des pitreries artistiques se profile assez fastidieuse. Pour faire court l'on mentionnera les boîtes de conserve de merde de Piero Manzoni, les requins au formol de Damien Hirst, les sculptures bancales de Maurizio Cattelan, le plug anal de Paul Mc Carthy ou encore les nunuches lapins gonflables de Jeff Koons. En de fines analyses l'auteur décrit cette sournoise connivence durant plusieurs décennies entre artistes, médias et institutionnels (Etat, ministère de la culture, FRAC, musées, galeries), contestant - en toute subjectivité - la valeur des artistes présentés et la stérilité de ces choix institutionnels. L'ouvrage de Benjamin Olivennes est d'autant plus intéressant qu'il dépasse le simple stade de la critique acerbe. Il nous explique clairement pourquoi les institutionnels de la culture ont tout simplement évincé - pour des motifs le plus souvent liés à l'idéologie dominante ! - les plus grands artiste français, pourtant eux-mêmes vénérés par de riches collectionneurs et des sommités comme le peintre Balthus ou le sculpteur Giacometti. Sans doute le cas le plus parlant est celui du peintre Sam Szafran, disparu tout récemment dans l'anonymat, dont l'auteur qualifie l'oeuvre comme « immense, secrète et méconnue ». Mal aimé des musées d’art contemporain lui préférant les vidéastes et « installationnistes », cet artiste français s’est imposé dans les années 1980-2000 comme la figure de proue des créateurs négligés par les institutions françaises. Une rétrospective de cet artiste rare fut même planifiée au Centre Pompidou mais brutalement annulée. L'auteur nous en fournit l'explication suivante : «Trop figurative, pas assez d'avant-garde, la peinture de Szafran se révélait bien plus dérangeante et subversive, et son auteur bien plus « artiste maudit, pour les institutions françaises, que nos plasticiens appointés. Le seul pays du monde à avoir un ministère de la Culture s'est révélé incapable de célébrer le talent de ses enfants. Szafran est mort en septembre 2019, pendant que j'achevais la rédaction de ce livre » (page 104). Szafran évidemment n'est pas le seul artiste ostracisé par les institutionnels français et Olivennes décortique dans son livre le parcours de nombreux autres grands talents méconnus comme ceux de Zoran Music, Jacques Truphémus, Raymond Mason, René Avigdor ou Ari Kha. La critique de l'auteur sur le positionnement discutable des institutions culturelles se révèle dans l'ensemble constructive. Et quand on lit attentivement cet essai brillant, passionné, un peu pédagogue et judicieusement pas trop long l'on comprend bien que l'auteur se passionne pour l'art contemporain mais dans le sens le plus élargi possible. Que cet art contemporain, si vaste et qui a donné tant de merveilleux artistes depuis 50 ans parmi lesquels (liste non limitative) : David Hockney, Gérard Garouste, Bill Viola, Sheila Hicks, Cindy Sherman, Guiseppe Penone, Nam June Park, Claes Oldenburg, Aernout Mik, Mike Kelly, Lucian Freund, Louise Bourgeois, Christian Boltanski, Francis Bacon, Nicolas Chénard, Carl Andre, Pierre Soulages, Martial Raysse, Jean-Michel Othoniel, Anselm Kiefer, Georg Baselitz, Balthus, Gubta, de Kooning, Enrico Prampoline ou Peter Doig..., n'est évidemment pas visé par les critiques de Benjamin Olivennes. Le problème qui se pose est que pour un artiste véritable de la trempe des précités les musées ou galeries spécifiquement dévolus à l'art contemporain en présenteront le plus souvent neuf autres sans intérêt. C'est sans doute là que réside toute l'ambiguïté de la spécificité culturelle française. Néanmoins, résolument optimiste pour l'avenir de l'art contemporain l'auteur conclut ainsi son essai : « Aujourd'hui que la France se demande qui elle est, et ce à quoi le XXIe siècle va ressembler pour elle, je crois qu'elle gagnerait à se tourner vers les grands créateurs qui vivent sur son sol, qui produisent des objets qui feront l'admiration de tout être humain à toute époque et dans tout lieu, et qui les produisent en se nourrissant de tout ce que la tradition française, européenne et mondiale a de meilleur. »
Benjamin Olivennes, L'Autre art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs, réédition, essai littéraire, éditions Points, collection « Points document »168 pages, 2022
« L’autre art contemporain : vrais artistes et fausses valeurs » avec Benjamin Olivennes
Pourquoi est-il devenu commun chez les artistes de ce début du siècle d'user dans leur oeuvre de matériaux comme les cheveux, les poils, les rognures d'ongles, les sécrétions, le sang, les humeurs, la salive, le pus, l'urine, le sperme, les excréments... ? Robert Gober utilise la cire d'abeille et les poils humains, Andres Serrano, le sang et le sperme, Mark Quinn façonne son buste avec son propre sang congelé, Wim Delevoye fabrique une pompe à merde qu'il baptise "Cloaca"... (...) Fascination du corps et de l'intérieur du corps : Mona Hatoum plonge dans les intestins, dans les rectums et en tire des vidéos, montrées dans des musées, qui ne sont autres que des endoscopies que l'on pourrait voir dans n'importe quel hôpital. Ces endoscopies n'ont aucune valeur scientifique. Mais ont-elles une valeur artistique ?
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