lundi 4 janvier 2021

Le Sabre et le turban - Jusqu'où ira la Turquie ?

« Atatürk et Erdogan sont ennemis par la théâtralisation de l'idéologie, mais complices dans la volonté d'hégémonie. » Dès le premier chapitre de  Le Sabre et le turban,  intitulé judicieusement Le vertige, Jean-François Colosimo exprime à travers cette observation désabusée toute l'ambiguïté perverse  des systèmes politiques mis en oeuvre depuis la République turque, née de l'Empire ottoman.

Dans cet essai brillant de près de 200 pages, très fouillé Atatürk et Erdogan sont décortiqués impitoyablement sous un angle à la fois  personnel et politique. Editeur, écrivain et documentariste l'auteur avait déjà signé en 2019 sur Arte le film Turquie, nation impossible. Dans  Le Sabre et le turban, il analyse l'histoire de la Turquie depuis un siècle, analysant la politique belliciste et antidémocratique de ses gouvernants. Y a t'-il une malédiction propre à la Turquie?       On pourrait le croire à la lecture du livre. De façon véhémente mais sans tirer les gros sabots   Colosimo affute arguments et exemples pour nous montrer que la République laïcisée incarnée par Atatürk, si vantée en Occident, s'était en fait appuyée  sur un nationalisme destructeur des minorités. Un des points les plus intéressants du livre est de montrer le parallèle entre la conception politique de la table rase d'un Atatürk  avec l'islamisme négateur des libertés du président Erdogan, au pouvoir depuis 20 ans. La démocratie en Turquie ? Pas vraiment une réalité dans un pays qui connut un nombre invraisemblable de putschs militaires. Amusé Jean-François Colosimo cite cette déclaration d'Atatürk lors de l'élection de 1932 : « Que le peuple ne s'occupe pas de politique pour le moment. Il faut que je gouverne ce pays pour longtemps encore. Après cela, nous verrons s'il est capable de se diriger lui-même.» Plus proche de nous il nous décrit cet Erdogan qui aspire à être le champion de l'islam politique, qui « muselle la presse », « embastille les artistes »,  « persécute les minorités ». Depuis le début du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui  l'histoire de la Turquie à travers ses dirigeants  y apparaît comme une mythologie grandiose ou selon les périodes domine superficiellement l'alibi du sabre démocratique ou celui tout aussi vicelard du turban religieux.  En fait, et l'ouvrage de Colosimo nous le suggère assez clairement il s'agit d'une imposture intellectuelle propre à la Turquie.  Le fonctionnement même de la  Turquie repose en fait sur l'autoritarisme et la prédation. Des Jeunes-Turcs, initiateurs du premier crime de l'ère contemporaine (celui du génocide arménien)  aux actions  d'Erdogan s'immiscant au Proche-Orient, en Méditerranée et dans le Caucase sans oublier les innombrables atteintes au droits de l'homme dans son propre pays. L'auteur nous lance cet avertissement salutaire : « Une fois encore, par cécité sur la vivacité de ressorts théologie-politiques que nous nous complaisons à considérer comme révolus, nous avons omis que, dans l'inconscient turco-ottoman, l'ambivalence est originelle entre la caserne et la mosquée.»

Jean-François Colosimo, Le Sabre et le turban - Jusqu'où ira la Turquie ?, éditions du Cerf, 216 pages, 2020





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire