lundi 17 février 2020

Ni couronne ni plaque


Au Théâtre de Belleville Janice Szczypawka interroge notre rapport à la mort dans Ni couronne ni plaque, étrange spectacle à l'esthétique funèbre et imprégné d’humour noir.


Artiste plasticienne et metteuse en scène Janice Szczypawka envisage sa première pièce comme une suite logique de son travail artistique. Ni couronne ni plaque tient à la fois du théâtre documentaire et de la fiction. Au sein d’un établissement des pompes funèbres d’une ville en Lorraine elle a rencontré et questionné ceux que l’on appelle trivialement les croque-morts. Le résultat théâtral se laisse découvrir sur un ton à la fois direct et descriptif avec des personnages réalistes comme une chef d’entreprise (Cathy), un thanatopracteur, des employés. Il y a aussi le personnage central de la visiteuse et de façon plus confidentielle les clients des pompes funèbres. A travers de nombreuses et courtes scénettes évocatrices, l’on découvre sur un mode théâtral parfois décalé et burlesque le quotidien de cette entreprise un peu spéciale.

© Jules Audry
Ni couronne ni plaque - Théâtre de Belleville

On remarquera que les moments de gravité - plutôt rares mais toujours éloquents - sont subtilement accompagnés par les mélodiques touches d’un organiste sur scène. Ce mouvement continuel, ce frénétique face à face professionnel avec la mort  donne à la tonalité générale de la pièce un rythme et un climat bien particulier. Pour ce spectacle l'auteure  s'est nourrie d'une expérience personnelle et la disparition  de sa grand-mère a  constitué le point de départ de cet ambitieux projet théâtral. De la réception des familles à la prise de contact avec les multiples intermédiaires (mabrier, porteur, fleuriste, thanatopracteur, journal local, site internet) Ni couronne ni plaque décortique le fonctionnement même d'une entreprise de pompes funèbres contemporaine, sans tabous et sur un ton davantage malicieux que cynique.  Confidences et  anecdotes ponctuent donc ce curieux voyage théâtral au pays des professionnels de la mort. On perçoit aussi nettement  dans ce court (1 h 10) mais incisif spectacle une intention de renseigner sur les nouveaux concepts de deuil et d’aborder directement la nouvelle dimension psychologique de la mort - du cercueil en carton écolo à la mise en disponibilité  sur Internet de messages post mortem.

© Jules Audry
Ni couronne ni plaque -Théâtre de Belleville

Même si parfois le spectacle se profile un peu décousu faute de chronologie  il n’en dégage pas moins une puissance narrative  et un mystère introduit par l’ambiguïté même des espaces.  La profusion des fleurs au plafond de la scène et un insolite jeu de lumières  installe une atmosphère définitivement entre chien et loup. Et derrière la bonhommie des dialogues des employés des pompes funèbres et l’apparente banalité des propos échangés avec leurs clients Ni couronne ni plaque ne nous laisse rien ignorer de la morsure profondément barbare de la mort  et du poids des souvenirs chez nous les vivants. On remarquera également une intéressante réflexion théâtrale sur le corps à travers l’angle profane de la décomposition. Dans une scène aussi  osée que surréaliste l’un des personnages (le thanatopracteur ) explique son travail à son entourage. Jovial et érudit il jette « ses couleurs » sur le corps d’une femme en position debout. La scène donne l’impression d’un geste artistique, à la fois jouissif et raffiné, tel que pouvait le pratiquer l'inspiré Néerlandais  Karel Appel avec ses jubilatoires flambées de couleur ou l'artiste Niki de Saint Phalle  dans sa fameuse série des Tirs, tableaux performances.

© Jules Audry
Ni couronne ni plaque - Théâtre de Belleville

Cette énigmatique scène  du spectacle renvoie la mort dans une  dimension à la fois festive, sexuelle, mythologique et psychanalytique. Elle nous oriente vers la fascination picturale pour le corps inerte,  des peintres des Vanités jusqu'aux artistes plasticiens contemporains (Teresa Margolles, Andres Serrano). Ni couronne ni plaque nous rappelle aussi que jusqu'à sa dernière demeure le corps du défunt constitue un enjeu stratégique,  un lieu de territorialité symbolique qui doit avant tout apaiser ceux qui sont vivants. Inspiré autant  par le théâtre documentaire que par un  discret questionnement philosophique  Ni couronne ni plaque souligne notre propre vision de la mort et les moyens de la société pour l'exorciser. Comme l'exprime un des clients de l'entreprise pour conjurer sa peur de la mort : "Moi je ne veux ni couronne ni plaque, juste une pensée !"

durée : 1 h 10

Ni couronne ni plaque
Une pièce de Janice Szczypawka

Conception et mise en scène : Janice Szczypawka

Avec Garance Bonotto, Tristan Boyer, Camille Dordogne en alternance avec Juliette Blanchard, Ulysse Reynaud, Martin Jobert, Fanny Jouffroy & Janice Szczypawka

Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple
Paris 11e
horaires : lundi et mardi à 21 h 15, le dimanche à 20 h 30

jusqu'au 25 février 2020























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