Film du réalisateur polonais Andrzej Jakimowski [Plisse les yeux (1999), Un conte d’été polonais (2003)], Imagine plonge d’emblée le spectateur dans l’univers confidentiel des non-voyants. L’histoire, dont le cinéaste a écrit le scénario, évoque la vie quotidienne d’un jeune professeur (Ian), fraîchement arrivé dans un établissement spécialisé pour jeunes élèves malvoyants.
Sous le regard sceptique de son directeur, Ian leur enseigne l’écholocation, une technique qui permet à partir de la résonance des objets de s’imaginer l’environnement qui les entoure. Ce long métrage, sans pathos, interprété en partie par des acteurs non-professionnels (les enfants aveugles de l’institution) propose sur un mode réaliste et humaniste une vision forte du monde des aveugles, communément auréolé d’un certain mystère.
Imagine
Finement, Jakimowski nous suggère toutes les difficultés rencontrées par cet enseignant non conformiste, confronté à sa hiérarchie et au regard goguenard de ses élèves. Cet ambitieux désir pédagogique, qui nous est présenté par une belle image plus proche de la parabole que du documentaire, défile au quotidien en classe ou dans la petite cour du monastère portugais sous la forme de petits exercices : remplissage d’un verre d’eau, claquement de doigts, repérage de sons, d’odeurs. (Destinées à faire acquérir l’autonomie en localisant l’espace, ces pratiques sont inspirées par les travaux de Ben Underwood sur l’écholocation.) Imagine se profile donc comme un film très curieux, à la fois porteur d’un message subversif (la remise en cause - partiellement ! - de la sacro-sainte canne de l'aveugle par Ian) et d’une fièvre optimiste (la croyance en l’apprentissage de nouveaux modes de perception).
Imagine
Avec de l'humour discret et un talent intuitif, le réalisateur polonais questionne notre représentation de l’univers des aveugles. Avec tendresse, il promène ses personnages dans une ville ombre-lumières, les baladant dans le décor ensoleillé des hauteurs de Lisbonne, lieu bourdonnant de vie, peuplé de trams colorés, de rues escarpées, de cafés animés et de boutiques ornées d’azulejos. Là, les deux pensionnaires - qui ont eu le privilège de sortir de l’établissement - peuvent expérimenter sans leur canne tous les dangers et joies de la vie quotidienne des voyants. Ils sont en quelque sorte invités par Ian à un grand voyage sensoriel, né (ou plutôt initié) dans l‘ombre du monastère/établissement (lieu mou de conservatisme) : marcher, traverser une rue, lire un menu, entrer dans un magasin… Entre questionnement philosophique et allégorie poétique de la ville, Imagine interroge avec brio aveugles et voyants sur les infinis espaces de la perception.
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