Avec Légua Antonio Reis et Margarida Cordeiro nous proposent un troublant conte social sur le Portugal des campagnes. Gravitant autour de trois générations de femmes, c'est aussi un beau portrait psychologique collectif.
Légua s’inscrit dans la veine du réalisme rural portugais, mais aussi dans celle de la chronique sociale documentaire. Et ce film à la fois intimiste et engagé n'est pas sans évoquer Tras os montes d'Antonio Reis et Margarida Cordeiro, oeuvre emblématique du cinéma portugais d’auteur local. Dans Légua, film inspiré en partie par des faits réels, les personnages nous apparaissent comme les derniers témoins d'une civilisation agraire qui meurt lentement, celle de villages dépeuplés par une émigration massive vers les villes et les pays étrangers dont la France.
Par la puissance magique des paysages et l'évocation rustique du mode de vie des deux femmes (Ana et Emilia) João Miller Guerra et Filipa Reis adoptent d'ailleurs un style jamais très éloigné du réalisme magique, même s'ils ne s'y inscrivent pas réellement. L'on pourrait sans peine dire que dans Légua la maison (un joli manoir du nord du Portugal) est le personnage principal dans lequel gravitent deux membres permanents. Emilia est une femme âgée catholique et célibataire ayant passé une bonne part de sa vie au service de cette maison. Quant à Ana, elle a renoncé à émigrer en France avec son mari pour aider Emilia, fragilisée par d'insurmontables problèmes de santé.
Membre périphérique de la maison, le temps juste d'un été, Monica, la fille d'Ana, nous apparaît dans ce long métrage comme un personnage rebelle, rétif à la fois au mode de vie rural et critique vis-à-vis de la soumission de sa mère par rapport à cette maison. Par petites touches, le film tente de décortiquer de façon suggestive les raisons qui ont poussé Ana à rester dans ce lieu à la fois magnifique et anxiogène, peuplé à l'intérieur des souvenirs d'une famille aisée à travers ses meubles, objets, photographies et peintures. Lieu d'autant plus mystérieux que les propriétaires, des bourgeois de Lisbonne, ne nous sont jamais représentés. Le dévouement et les sacrifices d'Ana vis-à-vis de la vieille gouvernante malade semble légitimer sa présence permanente dans la maison.
Mais le film de João Miller Guerra et Filipa Reis semble explorer une autre piste à la fois moins explicite et plus symbolique à travers l'attachement viscéral d'Ana à la terre et son rejet partiel de la modernité. Par une image léchée et sensuelle Légua nous fait comprendre l'aspiration d'Ana pour un travail en connexion avec son corps et en relation avec les éléments naturels. L'on notera l'aspect écologique du positionnement du personnage d'Ana qui renvoie en écho à certains thèmes d'actualité comme le retour à la nature ou même l'aspiration à changer de modèle économique.
Chronique provinciale sur le thème des travaux et des jours, Légua se profile aussi à travers les personnages phares d'Emilia et d'Ana une réflexion affinée sur l'amitié, le progrès, le bonheur ou la société moderne et ses mutations sociales. Comme les membres décrits par Tchekhov dans La Cerisaie ces personnages ont un parfum certain de dernier des Mohicans. Une scène du film résume à elle seule le dilemme dans lequel sont confrontés ces deux femmes, celle où Ana mécontente décroche le panneau à vendre du mur de la maison. Légua nous parle de désir contrarié, de la contradiction profonde entre le changement de la société et les aspirations des individus. A ce titre Légua nous apparaît comme un microcosme, un monde provisoire et délicieux mais voué irrémédiablement à disparaître.
durée : 2 h
Légua, un film de João Miller Guerra et Filipa Reis, drame, Couleur, Portugal, France, Italie
Avec Carla Maciel (Ana), Fátima Soares (Emília), Vitória Nogueira da Silva (Mónica), Sara Machado (Sofia), Paulo Calatré (Victor), Manuel Mozos (Guilherme)
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