Un soir chez Renoir

Au Théâtre du Lucernaire (Paris 6e) l'on peut découvrir Un soir chez Renoir de Cliff Paillé. Intimiste et social  c'est un spectacle percutant  qui rappelle les rudes luttes fraternelles qui opposèrent ceux que les critiques commençaient à appeler « les Impressionnistes ». Hiver 1877. Renoir reçoit Monet, Degas, Morisot et… Zola. Le début du spectacle nous montre ces quatre sommités arrivant progressivement chez Renoir, puis  s'atteler à la préparation conviviale d'un bon repas, apporté par Monet. Puis la tension dramatique s'installe  et des conflits localisés se nouent entre les cinq amis. 

© Cédric Tarnopol

Un soir chez Renoir - Lucernaire

L'on saisit très vite que les problèmes d'argent sont au coeur de la réunion  car leurs toiles ne se vendent pas et le grand public s'obstine à les dédaigner, quand il n'éclate pas de rire à la seule vue de leurs toiles, comme lors des précédents salons. La tension monte à son comble quand Renoir confie aux autres que   pour pouvoir manger à sa faim, il a décidé d’exposer au Salon Officiel.  Alerte et propice à une méditation sur l'art,  la pièce aborde de front le problème de la place de l'argent dans les rapports humains et artistiques.

© Cédric Tarnopol

Un soir chez Renoir - Lucernaire

Mais l'attitude de Renoir - alors qu'il s’étaient tous et toutes jurés de ne pas remettre les pieds au Salon - sonne comme une trahison impardonnable. En effet, temple par excellence de l'art pompier et de l'académisme mièvre, ce Salon Officiel symbolise cet ordre bourgeois, si vilipendé par Courbet,  frère de pensée pour bon nombre des artistes présents. Un soir chez Renoir propose au spectateur une belle réflexion philosophique sur l'engagement artistique mais aussi sur la tentation toujours tenace de faire des compromis avec ses idéaux. 

© Cédric Tarnopol

Un soir chez Renoir - Lucernaire

D'une façon générale Zola nous est montré comme un homme cultivé et très dynamique mais obnubilé par ses préoccupations littéraires, sociales  et par son credo naturaliste, d'où dans la pièce sa grande difficulté à partager  les conceptions picturales avant-gardistes de ses amis impressionnistes.   Dans leurs échanges, tantôt amicaux, tantôt très vifs, les comédiens se profilent très convaincants. Dans une intéressante progression narrative, la mise en scène de Cliff Paillé  met à la fois en exergue les sensibilités et les différences de tempérament de chaque artiste. Le conflit latent, qui éclate entre un  Degas riche et plein d'assurance et un Renoir  inquiet  et désargenté contribue à donner au spectacle une  tonalité sociale marquée. 

© Cédric Tarnopol

Un soir chez Renoir - Lucernaire

Quant à Berthe Morisot, elle joue un rôle de femme féministe à la fois forte et critique, écartelée entre  un Monet éternel optimiste, captivé par son travail des lumières et un Degas un peu directif et hautain.  Cliff Paillé  déchiffre à sa façon, mais sans rien céder à la rigueur des faits ni à celle des personnalités décrites, un des épisodes clés de l'histoire de la peinture moderne. Il le fait intelligemment, par le petit trou de la serrure, scrutant à travers une comédie intimiste et rythmée, tous les éléments politiques, humains et conflictuels qui ont jalonné cette vaste fresque humaine de l'impressionnisme.

durée : 1 h 15

Un soir chez Renoir
Texte et mise en scène : Cliff Paillé

Distribution : Romain Arnaud-Kneisky, Jeanne Ros, Sylvain Zarli, Alice Serfati, Elva Birman, Alexandre Cattez, Marie Hurault 

Théâtre du Lucernaire (théâtre Rouge) 
53, rue Notre-Dame-des-Champs 
Paris 6e
horaires :  du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 16 h

jusqu'au 11 juin 2023