Journaliste, écrivain et documentariste, Frantz Vaillant est entre autres l’auteur de Roland Topor ou le rire étranglé, Léo Ferré, droit de réponse et de Georges Franju, le dictionnaire d’une vie. Dans le livre intitulé A l'ombre des étoiles il nous propose une enquête passionnante sur dix fils ou filles de personnalités célèbres, de Michel Verne à Eugénie Bachelot-Prévert en passant par Paulo Picasso et Patrick Vian.
L'auteur fait particulièrement bien ressortir la complexité du rapport de ces enfants avec leur illustre parent, que ce soit dans leur façon de se construire, de s'opposer ou de se rapprocher d'eux. Un des cas les plus emblématiques décrits dans ce livre est sans doute celui de Michel Verne, constamment en opposition avec son romancier de père, ce dernier passant son temps à tenter de réparer les frasques et les scandales de son fils tout en n'hésitant pas à le placer en colonie pénitentiaire ou à l'expédier au bout du monde. Ironiquement, après la mort du grand Jules, Michel Verne ayant un certain flair commercial et avec la bénédiction du fils Hetzel publiera de sa propre plume six ouvrages présentés comme des inédits du cultissime auteur des Voyages extraordinaires. Il n'est sans doute pas facile de vivre avec des « demi-dieux » et en ce cinquantième anniversaire de la disparition de Pablo Picasso sa vie privée a été copieusement commentée. L'on connaît cependant moins la vie des enfants de Picasso que celle de ses femmes. A l'ombre des étoiles nous apporte un intéressant éclairage sur la relation qui liait Pablo à Paulo, qui « grandit dans un luxe inouï mâtiné d'une solitude un peu ingrate». Frantz Vaillant nous décrit ce parcours de vie erratique d'Enfant-roi, puis de souffre-douleur, entre dépendance paternelle, alcoolisme et drames familiaux. « Tu es un anarchiste bourgeois doublé d'un incapable. », lui aurait asséné un jour Pablo. Beaucoup plus paisible se profile la relation qui lie Catherine Camus et son père, l'écrivain Albert Camus, disparu tragiquement en 1960 alors qu'elle n'avait que 14 ans. Elle a consacré sa vie à gérer l'oeuvre du célèbre auteur de L'Etranger. Elle avait fait paraître en 2017 la correspondance de son père avec Maria Casarès, immense succès de librairie. Quant à Maud Linder, elle s'est distinguée par son travail de restauration et de remise en valeur de l'œuvre de son père, le cinéaste Max Linder disparu tragiquement avec sa compagne en 1925. Colette de Jouvenel est une autre personnalité intéressante qui figure dans le livre. Journaliste féministe et résistante, fille de la romancière sulfureuse Colette et du journaliste et politicien Henry de Jouvenel, Colette de Jouvenel toute sa vie subit malgré ses multiples talents l'influence de sa mère. Souffrant dès son plus jeune âge de l'absence maternelle, jamais compensée par son volumineux échange épistolaire, elle mit en veilleuse sa carrière journalistique pour ne pas déplaire à sa mère. En outre, cette dernière, par testament, privera sa fille du droit moral sur son oeuvre, ce qui occasionnera après le décès de l'auteure de la série Claudine une succession de procès qui dura plus de trente ans. Fils du poète avant-gardiste Paul Verlaine et de Mathilde Mauté, le parcours de vie de Georges Verlaine paraît dans ce livre sans doute un des plus apaisés. D'abord il a peu connu son ascendant. Ensuite, il a passé la majeure partie de sa vie comme employé modèle du métropolitain à la station Malesherbes, apparemment heureux. Frantz Vaillant décrit ainsi à sa façon le fils du poète avant-gardiste : « Georges collectionne les livres, les articles et les essais sur son père. Il ne le connaît que par procuration mais cette gloire posthume semble suffire à ensoleiller son morne quotidien. D'une nature douce et aimable, il parle sans jamais se distinguer par une une réflexion originale, un sentiment particulier, un trait de caractère distinct. Non, rien que du banal, de l'attendu, de l'eau tiède. Georges Verlaine mène une existence sans relief et sans histoires. Il s'en contente et n'aspire à rien d'autre » (page 52). Dans A l'ombre des étoiles Frantz Vaillant avec un sens rigoureux de l'enquête et une finesse psychologique nous montre à la fois la complexité des situations auxquelles sont confrontés ces fils et filles de et la fragilisation qu'elle implique dans leurs vies, car ces héritiers nous paraissent finalement dans ce livre tout sauf « des privilégiés ». La célébrité s'y révèle une arme à double tranchant et ces héritiers qui évoluent dans des univers politique, littéraire ou artistique sont toujours à la merci de ne jamais connaître l'insouciance et la liberté, d'autant plus s'ils sont écrasés par la personnalité d'un ascendant solaire happé par une carrière dévorante. L'on songe par exemple au destin tragique de Guillaume Depardieu (qui ne figure pas dans le livre), familiarisé dès l'enfance avec le milieu du cinéma. Acteur écorché vif, réfugié très tôt dans l'autodestruction, ce personnage haut en couleur ne peut sans doute être compris sans son amour et sa détestation de son père Gérard. L'on pense aussi au destin tragique du photographe Ari Boulogne, disparu en 2023. Il était le fils putatif d'Alain Delon et de la chanteuse Nico, icône du Velvet Underground. Il avait notamment raconté sa vie chaotique, dominée par une absence, celle du père, dans un ouvrage publié en 2001 (« L'Amour n'oublie jamais»). Errant entre hôpital psychiatrique et cures de désintoxication, Il ne put jamais sereinement exercer la moindre activité artistique.Frantz Vaillant, A l'ombre des étoiles, broché, grand format, enquête, éditions du Cerf, 227 pages, 2023
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