lundi 30 novembre 2020

Des grumeaux dans la passoire


Auteur de dizaines de livres et de dizaines de milliers d'articles presse, animateur TV et radio, Philippe Bouvard nous livre dans Des grumeaux dans la passoire ses souvenirs, définitifs et croustillants. A la veille de ses 91 ans le célèbre ex-animateur des Grosses Têtes  a privilégié pour son (déjà !)  soixante-septième ouvrage une forme à la fois concise et disons-le amusante avec des chapitres ultracourts (pas plus de 2 à 3 pages). Pince-sans-rire, il sous-titre son dernier livre  « Souvenirs d'un amnésique  »  Le style ironique, descriptif et léger de Des grumeaux dans la passoire   est un peu à l'image de la réputation de  Philippe Bouvard, homme féru de mots cocasses, de remarques acerbes mais surtout imprégné par un jeu d'esprit très français orienté vers le petit univers des gens « qui comptent »  : chanteurs, politiques, intellectuels,  présidents de la république, stars du cinéma, vedette de l'audiovisuel... Il faut dire qu'il a été biberonné très tôt dans le giron de la presse et des médias. Titulaire d'un maigre certificat d'études Bouvard parvient à entrer au service photo du Figaro comme coursier en 1952. Il monte rapidement les échelons et obtient sa carte de presse l'année suivante. Il devient rédacteur en chef puis éditorialiste de France Soir de 1978 à 1998 et collabore avec d'autres journaux à succès tels que le Figaro de 1962 à 1973, Paris Match de 1977 à 1992 et le Point  en 1983. Il publie aussi un billet quotidien de 2003 à 2017 sur le site internet de Nice-Matin. Mais c'est surtout avec son émission culte Samedi soir qu'il est rentré au fond définitivement dans la mythologie télévisuelle. (C'était une émission-débat d'actualité culturelle phare des années 70, qui bousculait déjà  les codes de la bienséance,  bien avant le fameux Droit de réponse de Michel Polac.) On  se souvient aussi dans les années 80 de l'emblématique  Le Théâtre de Bouvard. Cette émission d'humour  fera découvrir toute une génération de comiques, de Mimie Mathy à Chevallier et Laspalès en passant par Les Inconnus.  Dans ce vivier bouillonnant de rencontres et de milieux diversifiés, Bouvard - ici autant écrivain que journaliste - décortique à sa façon « les génies et les pittoresques ». Dans cette galerie de portraits rapides certains n'ont pas vraiment le plus beau rôle comme   François Hollande, qui a le droit au chapitre le plus court avec cette simple et définitive mention : « De lui, il ne restera pas grand-chose. Surtout l'image de l'inventeur du 'mariage pour tous', coupable d'avoir fait quatre enfants à une femme sans l'épouser » (page (163).

Philippe Bouvard

Au rayon Stéphane Bern l'on peut lire ceci : « Il ne ne prépare rien. Lorsqu'il invite un écrivain sans avoir lu son livre, il comble les attentes des attachées de presse en précisant une dizaine de fois le nom de l'éditeur. Je l'ai vu jouer avec brio une pièce de théâtre, s"ériger en professeur d'histoire à la télé et même délivrer des messages publicitaires pour payer les réparations de son vieux collège. La macronie en a fait, de surcroît, la tête d'affiche du patrimoine » (page 50). Quant au chanteur Charles Trénet le verdict se profile plutôt mitigé : « Affligé d'un caractère détestable, il n'avait aucun respect de la parole donnée et traitait tous ses contemporains par le mépris. Pour satisfaire sa libido, il recueillait des adolescents en difficulté. A d'autres heures, heureusement il était un mélodique inspiré et un délicat poète » (page 265). On l'aura compris les petites piques ne manquent pas dans ce livre de plus de 330 page qui n'épargne ni les plus anciens comme l'écrivain Robert Sabatier (1923-2012) ni ceux contemporains  comme Laurent Ruquier, torché ainsi  page 240 : « A  l'issue d'une représentation, je m'étais rendu dans sa loge pour le féliciter. J'admirais également sa logorrhée volubile que je comparais à celle des démonstrateurs proposant des épluches-pomme de terre électriques devant les grands magasins. » L'on perçoit aussi dans ce livre une grande tendresse rentrée  pour certains  comme   le dramaturge Marcel Achard (1909-1974), l'homme d'Etat français René Coty (1882-1962),  le journaliste et écrivain Jacques Chancel (1928-2014), le romancier Jean Dutourd (1920-2011), A propos de ce dernier, il confie page 239 :  « Il a été mon père spirituel, mon maître, mon modèle, le plus indulgent des amis et la bonne conscience culturelle de toutes mes entreprises médiatiques.  »  L'on connaît dans l'histoire du journalisme français la place majeure  du  Bloc-notes de François Mauriac et la jubilation particulière d'illustres  auteurs pour ce genre à la lisière du journalisme et du politique. Avec Des grumeaux dans la passoire Philippe Bouvard transcende à sa façon l'actualité, de la plus sérieuse à la plus futile, la formatant de son style simple et élégant.  Avec toute son acuité critique et la liberté de ton  qui le caractérise il porte un regard à la fois amusé, passionnel et distant sur  ce petit monde médiatique qu'il connaît comme sa poche depuis déjà plus d'un demi-siècle !  

Philippe Bouvard, Des grumeaux dans la passoire, éditions Plon, témoignage, 336 pages, 2020








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