lundi 5 décembre 2022

Hilda

 

Au Théâtre Clavel (Paris 19e) Alice Safran met en scène Hilda, la pièce de Marie NDiaye écrite en 1999. S'inscrivant dans un climat théâtral à la fois réaliste et lunaire, cet original spectacle aux accents drôles et anxiogènes pose un regard acerbe sur l'esclavagisme domestique moderne.

Cette pièce est la première oeuvre théâtrale de Marie NDiaye, écrite deux ans avant que l'auteure n'obtienne le prix Femina pour son roman Rosie Carpe.  Amusante et cruelle, toute en suspension,  l'histoire de Hilda a le même parfum un peu sulfureux que pouvait dégager un siècle auparavant  Le Journal d'une femme de chambre (1900), roman du malicieux romancier et fin psychologue Octave Mirbeau

Hilda - Théâtre Clavel

Cette courte pièce distille aussi cette atmosphère provinciale de marivaudage amoureux et d'hypocrisie sociale que l'on retrouvait par exemple dans les  films de Claude Chabrol. Ce psychodrame débute curieusement comme du Labiche ou du Feydeau.   Mme Lemarchand, bourgeoise aisée, recherche absolument une bonne, bonnes qu’elle semble consommer – consumer (?) à grande vitesse. Une bonne qui soit belle, qui soit propre, qui sache se tenir, qui soit saine … Et Mme Lemarchand a entendu parler de Hilda - qui n’est pas une bonne - et Mme Lemarchand veut absolument Hilda. Il se trouve que Hilda et Franck forment un couple à la limite de la pauvreté. Seul Franck travaille et il faut entretenir également les deux enfants de Hilda Hilda n'apparaît d'ailleurs jamais dans le spectacle, la rendant encore plus mystérieuse, plus chosifiée, plus soumise. 

Hilda - Théâtre Clavel

Elle est, à la fois, absente et omniprésente. Toute en progression narrative, la subtile dramaturgie d'Alice Safran nous suggère crument comment la domestique embauchée par Mme Lemarchand, objet de tous ses phantasmes, est devenue au fil des mois un jouet passif soumis à tous ses caprices. Enfin, rien ne nous indique que Mme Lemarchand s'épanouit dans une relation sexuelle avec sa bonne.    Enigmatique,   le personnage fantomatique de Hilda fait l'objet d'un contrat  entre Franck et Mme Lemarchand. Le ton de la pièce nous présente Hilda comme une marchandise vendue   par son mari à contre-coeur. L'l'hésitant Frank Meyer,  en échange de 50 francs de l'heure, accepte que sa femme fasse le ménage chez Mme Lemarchand, s’occupe de ses trois enfants et  lui tienne compagnie.

Hilda - Théâtre Clavel

Tout au cours du spectacle son nom ne cessera d'être répété par Mme Lemarchand comme l'on siffle le chien. Alice Safran donne une authenticité certaine  à ce personnage à la fois sulfureux,  vulnérable et délicieusement pervers.  Fidèle à l'esprit du texte de Marie NDiaye la comédienne  se faufile subtilement dans ce personnage affabulateur, se présentant comme  une femme progressiste, soucieuse du bien-être et de l'éducation de son employée. Mais surtout, elle maîtrise le langage, et par ce côté domine le mari de Hilda. Quant à Arthur Chédeville, il incarne en un jeu très convaincan. Il est Franck, le mari  vampirisé par Mme Lemarchand, qui passera haché menu par toutes les  phases de la crédulité  : méfiance, fascination, rejet. Satirique et distillant  une atmosphère oppressante, la pièce montre le  progressif processus de destruction de Hilda, mis au point par Mme Lemarchand.  

Hilda - Théâtre Clavel

Elle va s''approprier Hilda, la déposséder de sa famille et de sa personnalité en parfaite bonne conscience.  Dans ce drame intimiste cruel Marie NDiaye semble dénoncer avant tout la domination de classe, venant de gens qui se disent progressistes et de gauche. « J’ai besoin d’Hilda pour affronter la longueur des jours, pour sourire à mes enfants et résister au désir de nous faire tous passer de l’autre côté. », scande à un moment la maîtresse de maison, nous laissant entrevoir, au-delà de sa monstruosité égocentrique, le vide de son existence et sa solitude permanente. Finalement, Mme Lemarchand, le principal personnage, nous apparaît comme une pauvre femme, plongée dans l'affliction depuis longtemps. Cette dimension douloureuse et pathétique de Hilda nous est habilement restituée dans ce spectacle percutant, interprété intelligemment par Alice Safran et Arthur Chédeville.

durée : 1 h 15

Hilda, de Marie NDiaye (publié aux éditions de Minuit)
Mise en scène : Alice Safran
Distribution : Arthur Chédeville, Alice Safran, Pernille Gobin (en vidéo)

Théâtre Clavel
3, rue Clavel
Paris 19e
horaires : les vendredis et samedis à 21 h 30

jusqu'au 17 décembre 2022












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