Cimetière de la famille Brion, San Vito d'Altivole, 1969
Magasin Gavina à Bologne, Via Altabella, 1961-63
Carlo Scarpa (1906-1978)
Architecte s’inscrivant d’emblée entre tradition et modernité, Carlo Scarpa s’empare originalement de l’art et de l’histoire.
Une bonne part de son activité consistait à réhabiliter des constructions anciennes [musée du Castelvecchio (1956-64) à Vérone, musée Canova de Possagno (1957) à Trévise, musée Correr à Venise (1957)]. Reflétant à la fois le raffinement formel, l’expressivité des matériaux et l’obsession du détail, son œuvre subtile exprime toute l’audace d’une architecture européenne post-moderne.
Musée Correr à Venise,1957
Les Procuratie Nuove, siège du Musée
Une bonne part de son activité consistait à réhabiliter des constructions anciennes [musée du Castelvecchio (1956-64) à Vérone, musée Canova de Possagno (1957) à Trévise, musée Correr à Venise (1957)]. Reflétant à la fois le raffinement formel, l’expressivité des matériaux et l’obsession du détail, son œuvre subtile exprime toute l’audace d’une architecture européenne post-moderne.
Musée Canova de Possagno, Trévise, 1957
Musée Correr à Venise,1957
Les Procuratie Nuove, siège du Musée
Célèbre musée d’art et d’histoire de Venise, situé à l’intérieur des Procuratie, il est consacré à Teodoro Correr, riche abbé qui a donné en 1830 sa vaste collection d’œuvres d’art et de documents.
Escalier à l’entrée avec fresques
Fresques sur le plafond du Musée
Fondation Querini-Stampalia, Venise, 1961
Peintre intelligent, designer brillant, Carlo Scarpa est une figure de l’architecture du XXème siècle. Il montre à travers une œuvre principalement composée de réhabilitations une synthèse entre rationalisme corbuséen et l’intelligence wrightienne dans l’utilisation des matériaux.
Ses projets démontrent une incroyable virtuosité dans la manière de définir les limites entre les espaces qui composent les lieux de ses interventions.
Cette virtuosité s’appuie sur la qualité du dessin des éléments construits et sur la richesse des modénatures architecturales qui les composent.
Laurent Alberti, « Le mur à fruit de Carlo Scarpa », Libération, Les lignes de l’architecture, 2009
Laurent Alberti, « Le mur à fruit de Carlo Scarpa », Libération, Les lignes de l’architecture, 2009
Cimetière de la famille Brion, San Vito d'Altivole, 1969
L'architecte, disposant pour cette oeuvre monumentale, d'une grande liberté et d'une vraie puissance d'inventivité, y a réalisé ce que l'on considère souvent comme son chef d'oeuvre, tant l'importance du projet lui a permis d'exprimer hardiment ses idées architecturales les plus folles
Museo civico di Castelvecchio, Vérone, 1956
Instituto Universitario de Arquitectura, Venecia, 1968-78, 1984
Magasin Gavina à Bologne, Via Altabella, 1961-63
Villa Veritti, Udine, 1955-61
vue de la Villa Ottolenghi,
chef-d’œuvre testamentaire de Carlo Scarpa achevé en 1978
Enfant, Carlo Scarpa passait ses vacances d’été chez un oncle vivant à la campagne près de Vicence. L’arpentage répété de cette terra ferma proche de Venise a laissé une empreinte durable dans l’esprit du futur architecte, qui découvrait au hasard des promenades les villas d’Andrea Palladio. Dans ce territoire suburbain, le maître de la Renaissance avait en effet bâti pour la noblesse locale de splendides résidences, où le renouveau de l’antique s’inscrivait dans une stricte géométrie, marquée notamment par l’insistance sur les symétries. A sa façon, Palladio manifestait, dans ses oeuvres, la croyance émergente dans la toute-puissance des mathématiques pour organiser, et donc dominer, le monde, comme les villas figuraient par leur monumentalité le contrôle exercé par le propriétaire sur ses domaines. Un architecte moderne en somme. Son oeuvre a d’ailleurs irrigué, consciemment ou non, les réflexions de plusieurs héraults du mouvement moderne, de Mies van der Rohe à Le Corbusier. Le Vénitien Carlo Scarpa a lui aussi en tête ce prestigieux modèle, lorsqu’il s’intéresse à l’art d’habiter et concevoir des demeures privées. D’une certaine manière, Carlo Scarpa a toujours été un architecte d’intérieur. Qu’il aménage un musée, des bureaux ou qu’il bâtisse des maisons, il embrasse tout « l’environnement du vivre et de l’agir humain », selon l’expression de Giulio Carlo Argan. […]
paru en ligne dans Connaissance des arts fr, 2015
« J'ai une grande passion pour l'œuvre d'art. J'ai toujours cherché à connaître, à savoir, à comprendre, et il me semble aussi que j'ai d'assez bonnes connaissances critiques. Je ne sais pas écrire, je ne pourrais pas écrire un article critique, mais je ressens vivement ces valeurs. Et alors elles m'émeuvent. En fait, je préfère faire un musée plutôt que des gratte-ciels. »
Carlo Scarpa
Cette chronique Architecture est dédiée à la mémoire de
Loup de Fages de Latour (1927-2018), disparu trop tôt un beau jour de printemps…
Des extraits de son livre Edith Södergran (paru en 1970) :
page 11 :
Tout au nord de l’Europe, entre le golfe de Bothnie et l’immensité russe, s’étend un pays de lacs et de forêts : la Finlande. C’est une contrée étrange : le climat y est rude ; ses automnes sont des plus gris et ses hivers n’en finissent pas ; par contre, les printemps surgissent soudainement et éveillent avec violence vie et désirs ; et c’est ensuite l’été, avec ses courtes nuits blanches, avec ce silence immense sur ces espaces immenses de forêts solitaires et de lacs à la luminosité glauque et glacée. Irréelle et fantastique terre, qui imprègne si fort le caractère des gens, les pousse au rêve comme aux actions soudaines, au lyrisme fou et aux amours irréfléchies, aux longues aspirations vagues comme aux passions sans entraves, et aussi à cette exceptionnelle communion avec la nature, peut-être la plus vierge de l’Europe. La Scandinavie, contrée de légendes et des contes fantastiques, qui a vu naître les sagas et le Kalevala. Terre de poètes par excellence.
page 42 :
Edith Södergran n'a cessé, sa vie durant, de passer par des périodes de dépression, de crises même. Elle a toujours lutté pour conserver son équilibre, qui resta précaire. Sa volonté exceptionnelle et son esprit critique lui permirent néanmoins de ne pas réellement perdre pied, mais dès sa quinzième année elle connaissait un certain « vertige » : « Il me semble que s'ouvre sur moi un sans-fond vaste et infini » .
page 99 :
Edith Södergran admirait beaucoup Else Lasker-Schüler : elle la trouvait « célestement joyeuse ». Les deux poétesses se ressemblent par maints côtés ; mais la poésie d'Else Lasker-Schüler, immense nostalgie d'un Orient de rêve, écrite dans une langue allemande luxuriante et fastueuse, est toute imprégnée d'orient et parée d'étoiles, tandis que celle d'Edith Södergran évoquerait plutôt une nébuleuse tissée de lune, un voile de rêve dans la nuit nordique, mais dans lequel elle aurait fiché des soleils.
page 104 :
Dans le courant de l’année 1917, Edith Södergran écrivit fort peu. Etait-elle découragée par l’accueil assez mitigé qu’avait rencontré son premier recueil ? Ou bien était-ce l’effet de la maladie, d’un saignement des poumons plus grave que de coutume et qui la retint au lit ? Ce fut sans doute sous l’empire de la maladie, pour trouver un royaume où elle se sentit libérée des chaînes qui l’enserraient qu’elle imagina un conte allégorique baignant dans le rêve, et dont le manuscrit a été perdu. C’était son paradis : un monde d’îles – île de la vierge, île de minuit, île de l’ambassade, île de l’ermite – avec un lac qui n’était jamais plus beau qu’au dernier rayon de soleil de novembre ; y vivait la secrète princesse Hyacintha, entourée d’êtres divins.
page 220 :
Dieu, l’enfant, la nature : le périple d’Edith Södergran touchait à sa fin. Quel voyage ! A son départ, quatre années auparavant, avant de laisser aller son esquif dans le « tourbillon de la folie », sur les traces de Nietzsche, elle avait fait ses adieux à son enfance et aux compagnons de sa jeunesse :
Portez-vous bien, vertes forêts de ma jeunesse.
Je ne pose plus jamais mon pied sur la terre.
Un aigle m'a prise sur ses ailes.
Je ne pose plus jamais mon pied sur la terre.
Un aigle m'a prise sur ses ailes.
page 223 :
Entre temps, la revue Ultra avait pris son essor. Edith Södergran y collaborait avec ardeur, bien qu’elle vécût loin d’Helsinfors. Ultra publia ses derniers poèmes et ses « pensées sur la nature », ainsi que quelques traductions de Séveryanine ; elle mit en effet en suédois quelques-uns des poèmes les plus fous de son grand favori, du fantasque Igor Séveryanine, chantre des fêtes et de la vie moderne. Elle traduisit « La Ballade du Lac » et la folle « Ouverture » : Ananas au champagne ! Ananas au champagne !
Quelle merveille d’étincelles, que c’est bon et piquant !
J’ai un pied en Norvège, j’ai un pied en Espagne,
Impulsivement inspiré, je saisis mon crayon.
Vrombissement d’aéroplane ! Fracas d’automobile !
Hurlement des express ! Fuite des yachts !
On s’embrasse avec violence, l’affaire tourne mal !
Ananas au champagne ! – c’est le pouls des soirées.
Parmi les dames nerveuses et spirituelles
Je change la vie tragique en farce de rêve…
Ananas au champagne ! Ananas au champagne !
De Moscou – à Tokio, de New-York –
Jusqu’à Mars !
J’ai un pied en Norvège, j’ai un pied en Espagne,
Impulsivement inspiré, je saisis mon crayon.
Vrombissement d’aéroplane ! Fracas d’automobile !
Hurlement des express ! Fuite des yachts !
On s’embrasse avec violence, l’affaire tourne mal !
Ananas au champagne ! – c’est le pouls des soirées.
Parmi les dames nerveuses et spirituelles
Je change la vie tragique en farce de rêve…
Ananas au champagne ! Ananas au champagne !
De Moscou – à Tokio, de New-York –
Jusqu’à Mars !
pages 236/237 :
(postface)
[...] En fin de journée, nous partons pour rendre visite à Hagar Olsson. Elle est là, dans son petit appartement de la Petersgatan, mince, droite, le visage maigre et régulier, très doux. Elle veut nous offrir du vin, déboucher une bouteille – « for Edith, pour Edith ! », insiste-t-elle. L’appartement est comme tapissé de livres, avec quelques belles icones au mur. Hagar Olsson est une enfant adoptive de la Carélie ; elle a vécu près des grands monastères russes du lac Ladoga. Sur une table, des photos d’Edith, notamment celle où elle se tient debout dans la neige, son chat Totti dans les bras ; elle a ce sourire si particulier, « mi-enjoué, mi-mélancolique, toujours plein d’espoir ». A pas menus, Hagar Olsson va à un petit bureau, sort d’un tiroir « les lettres » ; je les ai sur les genoux : les cartes postales achetées en Suisse, les enveloppes jaunies adressées, selon l’usage scandinave, à « Författarinnan Hagar Olsson » ; l’une d‘entre elles, adressée à Genève, porte l’amusante mention : « Mademoiselle l’écrivaine Hagar Olsson ». Je parcours ces lignes pleines de passion, je suis cette écriture enfantine. J’ai dans les mains un dernier petit carré découpé dans la couverture noire d’un cahier : c’est le dernier adieu d’Edith Södergran à sa sœur - M’a-t-elle oubliée Hagar ne sommes-nous pas liées l’une à l’autre dans la vie et la mort… » – des lignes très irrégulièrement tracées, à peine lisibles. Les mains d’ Hagar Olsson sont longues et maigres. Elle retire de son doigt la « systerringen » : « elle est une peu usée » me dit-elle en me tendant la bague « mystiquement belle ». Elle parle de Saint-Pétersbourg, de la mère d’Edith, de cette femme admirable et cultivée à qui l’on doit tant : « c’est à elle qu’Edith lisait ses poèmes en premier lieu ». Elle évoque ensuite Paris, où elle a passé tant de doux moments ; elle y était avec Olavi Paavolainen, le fougueux essayiste, historien de l’art, le « meilleur guide pour visiter Paris » [...]
page 243 :
Loup de Fages, Edith Södergran, Les Nouvelles Editions Debresse, 247 pages, 1970
[...] En fin de journée, nous partons pour rendre visite à Hagar Olsson. Elle est là, dans son petit appartement de la Petersgatan, mince, droite, le visage maigre et régulier, très doux. Elle veut nous offrir du vin, déboucher une bouteille – « for Edith, pour Edith ! », insiste-t-elle. L’appartement est comme tapissé de livres, avec quelques belles icones au mur. Hagar Olsson est une enfant adoptive de la Carélie ; elle a vécu près des grands monastères russes du lac Ladoga. Sur une table, des photos d’Edith, notamment celle où elle se tient debout dans la neige, son chat Totti dans les bras ; elle a ce sourire si particulier, « mi-enjoué, mi-mélancolique, toujours plein d’espoir ». A pas menus, Hagar Olsson va à un petit bureau, sort d’un tiroir « les lettres » ; je les ai sur les genoux : les cartes postales achetées en Suisse, les enveloppes jaunies adressées, selon l’usage scandinave, à « Författarinnan Hagar Olsson » ; l’une d‘entre elles, adressée à Genève, porte l’amusante mention : « Mademoiselle l’écrivaine Hagar Olsson ». Je parcours ces lignes pleines de passion, je suis cette écriture enfantine. J’ai dans les mains un dernier petit carré découpé dans la couverture noire d’un cahier : c’est le dernier adieu d’Edith Södergran à sa sœur - M’a-t-elle oubliée Hagar ne sommes-nous pas liées l’une à l’autre dans la vie et la mort… » – des lignes très irrégulièrement tracées, à peine lisibles. Les mains d’ Hagar Olsson sont longues et maigres. Elle retire de son doigt la « systerringen » : « elle est une peu usée » me dit-elle en me tendant la bague « mystiquement belle ». Elle parle de Saint-Pétersbourg, de la mère d’Edith, de cette femme admirable et cultivée à qui l’on doit tant : « c’est à elle qu’Edith lisait ses poèmes en premier lieu ». Elle évoque ensuite Paris, où elle a passé tant de doux moments ; elle y était avec Olavi Paavolainen, le fougueux essayiste, historien de l’art, le « meilleur guide pour visiter Paris » [...]
page 243 :
(postface)
Des gens passent ; ils parlent en russe ; ils n'ont jamais pu lire les vers suédois gravés dans la pierre. Mais ils connaissent le monument de la « poëtessa », au bord du lac. Ils sont, paraît-il, fiers que leur petite ville ait elle aussi sa « poëtessa ». Le lac est calme, immobile. J'entends à peine, un peu plus loin, l'eau du lac qui, par-dessus le barrage, saute dans la rivière, comme il y a cinquante ans. Je lis encore une fois les vers gravés dans la pierre :
Voici la rive de l'éternité,
ici coule le torrent en murmurant,
et la mort joue dans les buissons
sa même mélodie monotone.
Se här är evighetens strand,
här brusar strömmen förbi,
och döden spelar i buskarna
sin samma entoniga melodi.
Des gens passent ; ils parlent en russe ; ils n'ont jamais pu lire les vers suédois gravés dans la pierre. Mais ils connaissent le monument de la « poëtessa », au bord du lac. Ils sont, paraît-il, fiers que leur petite ville ait elle aussi sa « poëtessa ». Le lac est calme, immobile. J'entends à peine, un peu plus loin, l'eau du lac qui, par-dessus le barrage, saute dans la rivière, comme il y a cinquante ans. Je lis encore une fois les vers gravés dans la pierre :
Voici la rive de l'éternité,
ici coule le torrent en murmurant,
et la mort joue dans les buissons
sa même mélodie monotone.
Se här är evighetens strand,
här brusar strömmen förbi,
och döden spelar i buskarna
sin samma entoniga melodi.
Loup de Fages, Edith Södergran, Les Nouvelles Editions Debresse, 247 pages, 1970
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