A la fois thriller psychologique et roman choral intimiste, Le vertige des falaises de Gilles Paris emporte le lecteur vers les rivages de l‘enfance avec en toile de fond d’inavouables secrets de famille et le décor panthéiste d’une île.
A la fois légers et tourmentés, tendres et cruellement incisifs, les romans de Gilles Paris [Au pays des kangourous (2012), L’Eté des lucioles (2014)] interpellent avant tout par une certaine simplicité de ton, la finesse descriptive des personnages, un humour bon enfant ainsi qu’une inspiration parfois lyrique, orientée vers la nature. Dans ce 5e roman, l’auteur du best-seller Autobiographie d’une courgette persévère sur ce thème de l’enfance, inséparable de son œuvre, à travers le personnage principal de Marnie, une ado de 14 ans sauvage et révoltée. Cette dernière vit dans une île paradisiaque aux langueurs de prison dorée en compagnie d’une mère malade (Rose), d’un grand-père bourru ex-architecte (Aristide) et d’une grand-mère (Olivia), détenant une bonne part des secrets de cette douloureuse famille aristocratique au nom chantant de Mortemar. Habilement construit autour de chapitres courts, Paris explore, dans une méticuleuse progression toute romanesque, les drames cachés de cette communauté à travers le regard critique et le ressenti des deux principales narratrices, Marnie et sa grand-mère Olivia. Au fil des pages, elles nous apparaissent aussi différentes par leur âge et leur caractère. Cependant, une lecture attentive du Vertige des falaises nous révèle qu’elles sont réunies par une même aversion pour les hommes (celle de Marnie pour son père Luc ; celle d’Olivia pour son mari Aristide) et une certaine vision amère de la vie, qui donne à ce roman une touche féministe certaine.
Ecrit comme une fine énigme policière [l’idée du roman est venue à l’auteur après une relecture de La Maison biscornue d’Agatha Christie], Le vertige des falaises séduit par la mise en place futée d’une vaste galerie de personnages, secondaires mais décisifs, questionnant en permanence le jugement du lecteur sur cette famille à la fois indigne, attachante et terriblement compliquée. Tous ces discrets narrateurs - qui ont pour nom Gérard Delorme (le médecin), Agatha (la fleuriste), Vincey (le petit ami de Marnie), Lola (la fille de joie), Manos (le coiffeur) ou Come (le curé) - nous fournissent donc de précieux indices sur l’histoire trouble des Mortemar, qui selon chacun confirment ou infirment les considérations humaines personnelles de ces deux femmes solitaires et révoltées. Par ce goût des lieux habités et de la psychologie humaine, sa propension à privilégier chez ses personnages le caractère d’unicité - et par conséquent celle de nous suggérer leur pure subjectivité au regard des autres - Le vertige des falaises rappelle parfois certains romans majeurs de la Néerlandaise Hella Haasse (1918-2011) comme La source cachée (1950) ou Des nouvelles de la maison bleue (1986). Le vertige des falaises est un roman attachant et intemporel. Bien qu’adoptant des thématiques plutôt dures - la maladie, la mort, la solitude ou l’atavisme familial - il n’écarte pas totalement la foi en l’espoir ou la résilience. Quand à cette maison en verre et acier (Glass), symbole de modernité cohabitant avec un environnement sauvage et romantique, elle apparaît dans ce roman comme un personnage à part entière. Sous des dehors d’histoires enfantines d'un autre temps, Le vertige des falaises atteint parfois une véritable intensité métaphysique et se révèle peut-être le roman le plus persuasif de Gilles Paris.
Gilles Paris, Le vertige des falaises, éditions Plon, 245 pages, 2017
Gilles Paris, Le vertige des falaises, éditions Plon, 245 pages, 2017
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