Dans L'Art Brut en question (s) Jean-Michel Wissmer interroge la fragile identité du phénomène culturel de l'Art Brut. Entre sympathie et distanciation critique, il questionne le parcours théorique de Jean Dubuffet (1901-1985) tout en s'intéressant à la dimension religieuse de trois artistes représentatifs : Aloïse Corbaz (1886-1964), Henry Darger (1892-1973) et le Facteur Cheval (1836-1924).
L'intéressant essai du Genevois Jean-Michel Wissmer nous rappelle que l'art brut fut souvent le fruit de la création de marginaux (internés, prisonniers) ou simplement de solitaires lunatiques, qui à l’écart des circuits artistiques traditionnels sublimaient leur vie sous la forme de peinture, sculpture, photographie, écriture, collage, assemblage ou architecture… Leurs réalisations étaient souvent l'oeuvre de gens de la campagne, qui avaient l'habitude de récupérer et de bricoler dans leur coin sans songer un instant à s'inscrire dans des circuits normalisés comme ceux de l'art officiel et des galeries. Il y eut par exemple Emile Ratier, ce paysan du Lot devenu aveugle, qui fabriquait des maquettes en bois ou encore Paul Amar, coiffeur à la retraite, qui mit... 4.000 heures pour reconstituer des fonds marins. Dans L'Art Brut en question (s) Jean-Michel Wissmer analyse en particulier l'oeuvre de trois figures iconiques de l'Art Brut, Aloïse Corbaz, Henry Darger et le Facteur Cheval tout en proposant une réflexion pénétrante sur des artistes célèbres « en souffrance » de tout bord (Goya, Munch, Van Gogh, de Saint Phalle, Kusama...) dont la symbolique indélébile marquée par la folie n'est pas sans affinités avec l'univers de l'Art Brut. L'essayiste interroge aussi finement toute la complexité de cette appellation (ayant beaucoup évolué avec le temps) théorisée par Jean Dubuffet, rappelant au passage comme dans cet extrait les excès idéologiquess du célèbre peintre et théoricien de l'art : « Dubuffet remonte loin dans le temps, englobant tout l'art occidental. Il fustige "notre art classique" (Dub 215), il veut faire table rase des valeurs gréco-latines qui se seraient éloignées des racines sauvages, du "fond humain originel" de l'homme européen. Même l'art égyptien ne trouve pas grâce à ses yeux. Peiry [historienne d'art et spécialiste de l'Art brut] parle de "l'anéantissement - inconcevable - de l'histoire de l'art et des représentants de la tradition esthétique. » (Pei 85) (page 27).
Jean-Michel Wissmer, L'Art Brut en question (s) Sous le regard de Dubuffet : du Facteur Cheval à AloIse, Art, éditions Slatkine, collection A blanc, 146 pages, 2024
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