Avec Sinjar, naissance des fantômes Alexe Liebert signe un documentaire délicat et vibrant sur le drame des Yézidis.
Le 3 août 2014, le groupe Etat Islamique s’était lancé à la conquête de la région du mont Sinjar, en Irak. Cinq ans plus tard, plus de trois mille Yézidis étaient toujours entre leurs mains ou portés disparus. Le demi-million de Yézidis qui vivait dans les villes et villages de la région a fui. Face à ce constat terrible les réalisateurs du film ont pendant un an et demi d'investigation au Sinjar et au Kurdistan irakien tenté de comprendre les évènements dramatiques qui se sont déroulés dans ces villages autrefois paisibles.
Des milliers d'enfants et de femmes furent raflés par l'Etat islamique pour être utilisés comme esclaves. Beaucoup d'entre elles furent violées, mariées et converties de force. Recueillis dans le film ces témoignages de femmes constituent aussi un document historique fort comme a pu l'être Les voix de Srebrenica de Nedim Loncarevic, documentaire sur le génocide et les crimes de guerre en Bosnie. L'on saluera aussi le désir pédagogique du film de restituer sans dramatiser inutilement les Yézidis dans leur spécificité sociale, religieuse, culturelle et historique.
A cette fin cet intéressant documentaire a trouvé un bon rythme narratif, alternant scènes de la vie quotidienne (danse, religion, jeux d'enfants), récits et paysages lunaires (le Mont Sinjar aux confins de la plaine de Ninive). Nous sommes touchés par ces nombreux témoignages de personnes Yézidi oscillant entre révolte et fatalisme, qui souvent ont perdu toute leur famille ou des amis proches de la communauté. Et les traumatismes vécus par ces rescapés de la fureur de Daech ne sont pas sans évoquer les crimes subis après la Seconde Guerre mondiale au sein des populations du Kosovo, de Bosnie, du Rwanda ou plus récemment d'Ukraine.
Sinjar, naissance des fantômes
Certaines scènes de Sinjar, naissance des fantômes nous montrent le délicat retour de personnes âgées errant dans les ruines de leurs villages et l'on comprend que la reconstruction économique et mentale au sein de cette région située au carrefour de l'Irak, de la Syrie et de la Turquie sera longue et difficile. En effet, environ 360 000 Yézidis vivent encore dans des camps pour personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays dans la région du Kurdistan iraquien.
A cela s'ajoutent 90 000 Yézidis qui ont quitté l'Iraq depuis 2014. Dans le documentaire une centenaire alerte et philosophe confie sa perplexité devant le départ en exil de son petit-fils en Allemagne. Subtilement dans Sinjar, naissance des fantômes, sur le mode du conte historique et rédempteur, Alexe Liebert a su recueillir à travers la parole rare des Yézidis la souffrance et leur lumineux espoir de retrouver un jour leur terre.
durée : 1 h 43
Raconté par Golshifteh Farahani
durée : 1 h 43
Sinjar, naissance des fantômes, un documentaire de Alexe Liebert, France, 2022
Photographies de Michel Slomka
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