lundi 12 février 2024

L’époque de la peinture. Prolégomènes à une utopie

A contre-courant de notre époque, celle de la technique, de la raison calculatrice, des logiques de domination qui s’immiscent dans toutes les dimensions de la vie, époque qui trouve son origine lointaine dans le néolithique où furent inventés l’agriculture et l’élevage, Jérôme Thélot propose dans un essai audacieux intitulé L’époque de la peinture « de former l’utopie d’un radical recommencement». Se souvenant de l’invention de la peinture dans le secret des cavernes du paléolithique, et de sa fonction instauratrice durant des millénaires, son projet paradoxal est motivé par une espérance obstinée, celle d’inaugurer une nouvelle époque de la peinture, que prophétisent à leur manière certaines œuvres majeures comme celles de Giorgio Morandi ou d’Edward Hopper. Car « il vaut impérativement la peine, à l’heure catastrophique où nous sommes d’une possible disparition de la vie terrestre, de scruter à nouveaux frais la teneur de la peinture », sa teneur « en vérité, en justice et en bonté ». L’époque de la peinture serait celle d’un autre paradigme éthique et politique, d’une douceur nouvelle dans notre rapport aux êtres et aux choses, qui désamorcerait les mécanismes de violence et de destruction régissant l’histoire contemporaine.
« La question de savoir si l’utopie dont ce livre formule les prolégomènes est plausible ou non, ne se pose pas : bien plutôt s’agit-il d’exposer les articulations d’une philosophie qui défend l’idée d’une époque improbable où la peinture eût fait, ou bien ferait, notre salut. Aussi ce livre esquisse un mythe ouvert qu’il fût revenu ou qu’il reviendrait à un recommencement de l’histoire de conjuguer.
Un ‘‘mythe’’ : un récit qui fonde une époque et décide de son sens. Il débute par une genèse, puis se développe de mythèmes en mythèmes. Lesquels racontent, successivement, avec le don de ‘‘La Charité romaine’’ l’invention picturale de la subjectivité ; avec le débat entre Baudelaire et Manet le surmontement de la représentation sacrificielle ; puis, avec l’art compassionné d’
Irène soignant Sébastien, la fusion d’éros et d’agapè. Ensuite, adossé à ces préalables, le mythe recueille la puissance de recommencement de la peinture par-delà les dévastations de l’époque de la technique : en particulier, dans son ἐποχή chez Bram van Velde réduisant le paysage à sa vie antérieure. Enfin, il reconnaît dans la gaieté aussi originaire que l’effroi la disposition affective intime à cette puissance, et il raconte sur la scène de l’utopie le très simple destin d’une artiste qui l’incarne.
Ce sont ainsi une quarantaine d’œuvres occidentales, de Holbein à Soutine, de Zurbaran à Morandi, de Frans Hals à Hopper, qui encouragent ici l’association, presque l’identification de la peinture à l’espoir. » (J. T.)

source : éditions L'Atelier contemporain

Jérôme Thélot, L'époque de la peinture. Prolégomènes à une utopie, essai, éditions L'Atelier contemporain, collection « Essais sur l’art », 112 pages, 2024
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