lundi 28 août 2023

Vivre en ville

 


Dans un essai drôle et  rafraîchissant intitulé Vivre en ville, le journaliste et écrivain Jonathan Siksou décortique notre curieux rapport à la cité. Déjà dans Paris, capitale du XIXe siècle, le philosophe  Walter Benjamin (1892-1940) posait un regard tonique sur la ville, rassemblant une somme considérable d'informations sur des sujets aussi divers que la publicité, la mode, l'urbanisme parisien ou encore les mouvements sociaux. A travers cet essai fleuve, l'auteur allemand s'interrogeait à la fois sur la modernité et l'illusion du mythe de progrès dans une grande ville (Paris) ayant intégré tous les codes de la société de consommation. Citant dans son avant-propos la phrase culte de Walter Benjamin (La ville est la réalisation du rêve ancien de l'humanité, le labyrinthe), Jonathan Siksou écrit, soulignant le rapport paradoxal qui lie l'homme à la ville : « Vivre en ville est de plus en plus invivable mais de plus en plus de monde souhaite y vivre, et ce, partout dans le monde. » (page 11). Attirance et répulsion de la ville : les plus grands écrivains (Zola, Dickens, Dos Passos) ont exprimé dans leur oeuvre cette dualité caractéristique dont déjà le journaliste et essayiste Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) rendait compte dans Le tableau de Paris (1781), portrait coloré et incisif de la capitale, riche en descriptions et critiques acerbes sur les moeurs. Pour clore cette partie historique l'on rappellera aussi l'ouvrage de référence Paris, ville catin - Des origines à 1800 de l'universitaire anglais Andrew Hussey, qui dans les pas de Villon, Mercier, Rétif de la Bretonne, André Breton, Walter Benjamin, Georges Perec et tous les autres, brossait un portrait à la fois érudit et irrévérencieux de Paname. Evoquer la ville, sous le prisme de la décadence, est sans doute passé un peu de mode (sauf peut être en littérature). Pour appréhender la ville historiens, journalistes ou sociologues semblent privilégier pour leur études un champ plus large, prenant en compte l''habitat, la vie quotidienne, l'histoire des mentalités et l'infiniment petit qui en dit toujours plus que les grandes théories.  Mêlant subtilement humour, petite histoire, description sociologique et réflexion philosophique, l'Anglais Théodore Zeldin dans Les Français (1983) brossait un portrait caustique de nous dans son ouvrage emblématique Les Français (1983). Dans la même veine drôle, à la fois érudite et vulgarisatrice l'on peut citer les ouvrages de deux journalistes québécois, Ces impossibles français (2010) de Louis Bernard Robitaille et Ainsi parlent les Français (2018) de Jean-Benoît Nadeau. L'essai Vivre en ville s'inscrit tout à fait dans cette tradition à la fois tendre et caustique, légère et brillante, lettrée et humoristique. Avec brio Jonathan Siksou explore cette jungle urbaine, celle d'une grande ville comme Paris, décrivant minutieusement lieux et codes de ses habitants, nous rappelant au passage que la ville ruche ne date pas d'hier : « Dans l'Antiquité, les rues des grandes villes étaient un foutoir inconcevable. Des fourmilières grouillantes. » (page 24). Il nous rappelle également notre rapport compliqué aux animaux, nos addictions numériques dans les transports en commun ou encore nos comportements lors de réceptions et mondanités. Dans le chapitre Chez les amis l'on peut lire :  « Il y a les amis et les faux amis. Comme dans les règles de vocabulaire, le faux ami ressemble au vrai et n'a pas le même sens. Si l'on en est pas avisé, il faut être prudent » (page 185). Avec toujours un délicieux petit rappel historico-sociologique Vivre en ville nous embarque dans tout ce qui fait l'essence de la grande ville : son métro, son architecture, ses commerces, ses musées, ses restaurants, ses hôtels, ses églises, ses parcs... Avec humour l'auteur décortique par exemple le comportement d'une boulangère lors d'un passage en caisse, celui d'un quidam dans un ascenseur ou encore l'inattention collective de passants en ville, rappelant au passage que... 379 personnes seraient mortes entre janvier 2008 et juillet 2021 un téléphone à la main (selfie meurtrier). Dans ce spectacle permanent qu'offre cette ville-zoo, dans ce labyrinthique espace où s'entrecroisent sites, strates, cases et castes le journaliste et écrivain glisse malicieusement scènes de la vie courante et anecdotes vécues. Dans le chapitre consacré aux concierges, il note : « J'ai connu un concierge siégeant dans un hall aux allures de salon d'apparat, dûment cravaté et fièrement assis derrière un bureau Louis XV, se tournant les pouces du matin au soir, tel un ministre qui attend quelque chose, son café ou un dossier brûlant - et j'ai appris d'un habitant vivant sous cette auguste protection que son appartement de fonction, certes en rez-de-chaussée, était très grand. » (page 106). Dans la sous-section Réceptions et mondanités du chapitre Chez les amis, on peut lire à propos des artistes : « Entre eux, les artistes ne sont pas très sympathiques. Ils sont souvent calculateurs et ont l'amitié utile. Paul Morand disait des écrivains qu'ils ne se lisent pas, ils s'espionnent.» (page 185). Au final avec  Vivre en ville   Jonathan Siksou se révèle un fin ethnologue de la vie urbaine avec un sens épique de la formule et surtout...  beaucoup d'humour.

Jonathan Siksou, Vivre en ville, essai, éditions du Cerf, 216 pages, 2023


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