lundi 31 janvier 2022

Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre


Actuellement à La Folie Théâtre, l'on peut découvrir Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre, un spectacle dérangeant et sombre questionnant  notre perception humaine des grands criminels nazis. Ecrit par André Agard, psychanalyste et comédien, il est mis en scène par Yves Patrick Grima. L'histoire se déroule en 1945 dans la prison de Nuremberg. Peu avant son procès, Herman Göring (numéro deux du pouvoir allemand, après Hitler) est interrogé régulièrement par  le major Mc Enis  un psychiatre de l’armée américaine. Celui-ci va tenter de mieux cerner les mécanismes humains qui ont permis la mise en œuvre d’une « industrie de la mort ». Ce spectacle est d'autant plus incisif  que le personnage du psychiatre (interprété par Quentin Perriard) est inspiré par celui de Douglas Kelley, qui se suicida en 1958, ingérant une capsule de cyanure, comme le fit 12 ans plus tôt  Göring

Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre - A La Folie Théâtre 

(L'historien et journaliste Jack El-Hai  a écrit un intéressant ouvrage - Le Nazi et le Psychiatre. A la recherche des origines du mal absolu* -  sur le rapport ambivalent du psychiatre  et du haut dignitaire nazi.) A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Kelley, alors chef du service de psychiatrie d’un hôpital militaire, fut chargé d’une mission qui allait bouleverser sa vie: évaluer la santé mentale des dirigeants nazis détenus à la prison de Nuremberg dans l’attente de leur procès. Kelley espérait identifier les traits de personnalité ou les troubles mentaux qu’ils avaient en commun - définir une « personnalité nazie » qui permettrait de comprendre ces criminels.  Il n'y parvint pas. Le texte défricheur d'André Agard   fait   écho   à cette impossibilité  de dresser un portrait commun et reflète  cette difficulté de mettre l'étiquette «  monstre » sur les criminels fussent t'ils les plus odieux et haïssables.

Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre - A La Folie Théâtre 

Percevant l'aspect purement  opportuniste et servile des brutes allemandes  Hannah Arendt avait développé sa célèbre théorie de « la banalité du mal » lors du procès Adolf  Eichmann, montrant que les nazis  dissimulaient leur férocité sous la couverture de petits fonctionnaires médiocres de la mort.(Certains considérèrent d'ailleurs à l'époque que sa thèse amenait à déresponsabiliser les dirigeants nazis de leurs crimes.) Subtilement, la mise en scène de Yves Patrick Grima  nous montre le progressif  ébranlement moral du psychiatre, confronté à la fois aux ordres contradictoires de son supérieur (le colonel Andrus), aux ruses et à la séduction malsaine de son illustre prisonnier et surtout à la mise à l'épreuve de ses propres valeurs. Avec habileté Laurent Ledermann se faufile  dans ce personnage de haut dignitaire nazi, habité à la fois par la rudesse, la ruse et par une part  d'humanité, celle même qui perturbe tant le major Mc Enis. 

Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre - A La Folie Théâtre 

Quant à Quentin Perriard, il interprète un psychiatre très crédible, déstabilisé à la fois par les ordres contradictoires de ses supérieurs mais surtout par son incapacité de relier  clairement l'atrocité des crimes commis par son patient à une pathologie grave répertoriée. D'une certaine façon, du moins sur le plan symbolique,  Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre esquisse aussi toute la noblesse et les limites de l'exercice psychiatrique.  Imprégnée d'une certaine théâtralité une scène nous montre un Göring goguenard et en verve passer une série de test Rorschach ; une autre nous le montre dans un registre d'émotion demander au major Mc Enis de transmettre des lettres à sa femme et de lui demander  s'il accepterait d'adopter sa fille après sa mort. Dans une  intéressante progression psychologique la mise en scène de Grima met en exergue ce rapprochement infinitésimal entre le prisonnier et le psychiatre. 

Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre - A La Folie Théâtre 

Un rapprochement que l'on ne saurait qualifier de connivence, encore moins d'intimité. Mais quand même, un regard, qui  malgré toute sa répulsion pour tout ce qu'incarne Göring, accepte à un moment donné de lui lui conférer une place d'homme.  L'on signalera aussi le jeu expressif de Pascal Palisson, en alternance avec Laurent Lehenaff, dans le personnage bourru du colonel Andrus.  Rappelant régulièrement au  major Mc Enis  que son rôle est de maintenir en bonne santé ce prisonnier afin qu'il soit jugé correctement, ce personnage peut être vu comme le porte-parole  des juges de Nuremberg. Au final, un spectacle particulier et dérangeant, titillant la partie obscure de de la plus sombre humanité. Mais aussi, d'une certaine façon  Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre nous rappelle symboliquement le travail à la fois lumineux et ingrat  de tous ceux (magistrats, policiers, médecins, psychiatres), qui sont payés par la société pour observer la partie la plus noire de l'être humain.  

* Le Nazi et le Psychiatre. A la recherche des origines du mal absolu, Jack El-Hai, traduction Daniel Roche, Les Arènes, 380 pages, 2014
 
durée : 1 h 15

Göring, surveillance rapprochée de l'Ogre
Mise en scène : Yves Patrick Grima
Avec : Laurent Ledermann (Göring), Quentin Perriard (Mac Enis) et Pascal Palisson (colonel Andrus),  Laurent Lehenaff (colonel Andrus en alternance) 

A La Folie Théâtre (salle Petite Folie)
6, rue de la Folie Méricourt
Paris 11e
horaires : jeudi et dimanche à 19 h

jusqu'au 1er mai 2022









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