lundi 11 janvier 2021

Lagarce, une vie de théâtre



Dans une intéressante biographie Jean-Pierre Thibaudat évoque le parcours et l'oeuvre de Jean-Luc Lagarce (1957-1995), auteur culte, disparu trop tôt, ayant eu une influence majeure sur le théâtre français contemporain.
Depuis sa mort, le 30 septembre 1995, ses pièces ont été traduites en trente langues. L’une des plus intéressantes, Juste la fin du monde, a fait l’objet d’un film du cinéaste ­québécois Xavier Dolan, primé à Cannes en 2016. (Elle est d'ailleurs au programme du baccalauréat.) Critique et ancien responsable théâtre de Libération Jean-Pierre Thibaudat avait déjà évoqué en 2007 dans son livre Le Roman de Jean-Luc Lagarce cette grande figure du théâtre français, qui ne fut pleinement reconnu comme auteur qu'après sa disparition. Dans ce Lagarce, une vie de théâtre, il nous propose un parcours biographique de l'auteur encore plus fouillé, repérant dans son oeuvre à la fois la dimension autobiographique et la constance obsédante des thèmes - pas franchement gais ! - de la perte, du manque, du deuil, de la solitude dans l'oeuvre de Lagarce. Considérable, elle comprend vingt-trois pièces, un volumineux Journal, des récits, des essais, un film vidéo et un roman, Les Adieux, resté inédit. Lagarce, une vie de théâtre évoquec donc cet étonnant parcours, de la naissance de l'écrivain, dans une famille modeste, le 14 février 1957 à Héricourt (Haute-Saône) à sa disparition à l'âge de 38 ans. Lagarce était l’aîné de trois enfants. Ses parents étaient ouvriers chez Peugeot, et protestants. À 18 ans, il rêve de devenir écrivain, et s’installe à Besançon. Il y étudie la philosophie, et très vite, s’oriente aussi vers l’art dramatique. alors une vie de théâtre commence  qui sera révélatrice, vingt ans durant, de ce que le paysage français de la fin des années 70 jusqu’aux années 90 pouvait offrir comme chances et comme déboires à un jeune homme de talent.

Jean-Luc Lagarce

Elle est partagée, pour Lagarce, entre l’écriture et la mise en scène – en qualité de « chef de troupe » – et entre la province et Paris. Parallèlement à des cours, vite insuffisants, au conservatoire de Besançon, il fonde, en 1977, avec une bande d’indéfectibles compagnons dont Mireille Herbstmeyer et François Berreur, la compagnie de la Roulotte, destinée à monter des auteurs du répertoire contemporain, comme Beckett ou Ionesco, mais surtout, ses propres pièces, car l’écriture est un élément essentiel du rapport de Lagarce au monde théâtral. Si Lagarce n’a pas été tout à fait reconnu de son vivant comme un auteur phare, c’est peut-être que le langage théâtral de ses pièces était trop novateur pour l'époque. Son théâtre n'a rien particulièrement de lyrique, ressassant éternellement (comme Pinter) sur des évènements de la sphère familiale, privée ou des événements relevant de l’ordinaire, d'où ce ton à la fois moderne et énigmatique qui caractérise si bien ses pièces. Thibaudat note justement à propos de ce théâtre sans intrigue et aux contours volontiers absurdes et dépressifs la filiation moderne entre Lagarce et ses prédecesseurs quand il écrit page 46 : «  Ionesco, Beckett, Genet... Lagarce flirte avec ses grands aînés, explore leurs sentiers, bonne façon de se frayer un chemin. Dans Les Serviteurs, le dialogue est une succession de soliloques, de répliques qui se prolongent plus qu'elles ne se répondent.»  Deux semaines avant de mourir, Lagarce achevait sa dernière pièce : Le Pays lointain. A propos de cette pièce testament Thibaudat fait la remarque suivante : «  Le Pays lointain où Louis entend se souvenir de toute sa vie est aussi la pièce où Lagarce se souvient de toutes ses pièces ».

Jean-Pierre Thibaudat, Lagarce, une vie de théâtre, biographie, éditions Les Solitaires Intempestifs, collection « Du désavantage du vent », 208 pages, 2020


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