Dans Comprendre le poutinisme Françoise Thom décortiquait il y a quelques années le régime de l’homme fort de la Russie. S’appuyant sur la genèse et l’histoire de l’URSS, l’auteure décrivait déjà les dérives mafieuses et autoritaires du système mis en place depuis près de 20 ans par l’ex officier du KGB. Toujours de pleine actualité, cet essai lumineux et prémonitoire permet, encore plus après l'invasion de l'Ukraine et la prolifération du Groupe Wagner en Afrique, de mieux cerner la nature foncièrement antioccidentale et antidémocratique du régime politique actuel.
(remise en ligne de la chronique Blog de Phaco du 12/11/2018)
Spécialiste de l’URSS et de la Russie postcommuniste, auteure des remarqués Les Fins du communisme (1994) et de Beria : le Janus du Kremlin (2013), Françoise Thom dans son nouveau livre nous propose une analyse particulièrement fine et aiguisée sur la politique étrangère de la Russie à travers les évolutions de la politique intérieure de Poutine. Après nous avoir rappelé son passé d’agent du KGB, sa réussite dans les affaires et son ascension postEltsine au Kremlin, on nous donne des informations précises sur les principaux évènements de sa longue carrière politique, tout au long de ses trois mandats présidentiels. On a une intéressante relecture des guerres de Tchétchénie, de l'annexion de la Crimée, des mystérieux assassinats politiques de journalistes dissidents ou encore des relations compliquées de Poutine avec les oligarques (dont Berezovsky).
Sans doute une des parties les plus intéressantes de ce livre d'investigation est celle qui démonte les mécanismes pervers du système idéologique diffus mis en place par Poutine. On nous explique comment les dirigeants russes perçoivent le monde et les hommes, à la fois frustrés de la grandeur perdue de l’Empire russe et nourris d'une haine-jalousie envers l’Occident, responsable de tous leurs maux. L’ambiguïté même du poutinisme réside sans doute dans son mélange d’archaïsme et de modernité. D’une certaine façon, Comprendre le poutinisme met à bas la vision simpliste que l’on peut avoir d’un Poutine, notamment en Occident, - celle d’un homme d’Etat certes autoritaire et pas trop regardant sur les droits de l'homme mais finalement utile et indispensable, par exemple, à la lutte contre l’islamisme. Thom nous rappelle les alliances informelles entre l’orthodoxie et l’islam, défavorables à l’Occident.
Elle cite entre autres l’embarassant cas de l’incontrôlable Kadyrov, « fantassin de Poutine », qui a notamment instauré certains aspects de la charia en Tchétchénie. Autre aspect inquiétant du système poutinien : l’accroissement d’illuminés aux plus hauts sommets de l’Etat. L’universitaire cite Olga Vassilieva, ministre de l’Education nationale, représentante d’un des courants les plus obcurantistes à la mode, le « stalinisme orthodoxe ». Les véritables appels au meurtre de la télévision russe sont une autre donnée de la face obscure du poutinisme, qui non seulement contrôle les médias en sous-main mais a fondé tout le système politico-économique russe sur le clientélisme et la soumission au Kremlin. Egalement la description de la guerre psychologique contre les pays occidentaux est une des parties du livre les plus intéressantes.
Sans doute favorisée par la montée du populisme ant-européen, la vogue du souverainisme et les flambées xénophobes, le système poutinien multiplie en Europe, par les réseaux sociaux, la diffusion de fake news, multipliant sur Internet les trolls discréditant les publications considérées comme anti-russes. Thom écrit (page 205) : « Vers la mi-2015, la « fabrique de trolls » employait 800 à 900 personnes. Ses objectifs deviennent plus ambitieux : désormais elle a pour mission d’attiser un climat de guerre civile dans les pays occidentaux, notamment aux Etats-Unis. » On l'aura compris : l'auteure nous avertit de la fragilité d'un tel régime, qui pourtant semble massivement soutenu par la population, mais dont rien ne garantit la pérennité vu ses mitigés résultats économiques et sa passion nihiliste destructive.
Françoise Thom, Comprendre le poutinisme, 240 pages, éditions Desclée de Brouwer, 2018
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