Plus de 70 ans après sa mort, l’œuvre de ce grand bourgeois humaniste et cosmopolite de Zweig reste prégnante. Il est lu universellement et très souvent adapté au théâtre. Ses nouvelles doivent beaucoup à un style élégant et à son talent d’observation des comportements humains - en particulier d’univers psychologiques féminins et tourmentés.
Dans un livre récent Francis Huster écrivait d’ailleurs à propos de l’auteur autrichien : « Il révèle [Zweig] l’inavouable, les motivations réelles ou mensongères, les folies intérieures, comme les abandons ou les perversions. » (1). En cela, La peur peut être perçue comme « du pur jus Zweig » avec ses thèmes obsessionnels comme le mensonge ou la culpabilité. La courte nouvelle La Peur relate l’histoire d’une trentenaire mariée (Irène) trompant son mari avocat (Fritz) avec un pianiste à la mode (Edouard). Terrorisée par le chantage qu’exerce sur elle une femme mystérieuse (Elsa) qui se présente à elle comme l’ancienne maîtresse de son amant, elle vit dans la hantise de la révélation de son infidélité conjugale.
Elodie Menant inscrit La peur dans le décor un peu suranné d’un intérieur bourgeois des années 50, avec sa radio rétro aux légers airs de rock’n’roll. Evitant subtilement les pièges du pathos théâtral ou du sentimentalisme exacerbé l’adaptation/mise en scène semble se concentrer en priorité sur l’ambiguïté même de la relation liant Fritz et Irène, un rapport fondé sur la thématique forte de la peur. (Le titre de la pièce est déjà assez révélateur.) Peur de ses propres émotions, peur d’Irène de devoir rendre un jour des comptes de sa trahison à son mari, peur de blesser l’autre, peur de briser le cocon familial composé de deux enfants, peur de mettre en péril le confort d’une vie aisée…
Au fil de la narration du spectacle, le lien entre cette crainte diffuse et la profonde mésentente du couple se révèle dans toute sa cruauté malgré les tentatives maladroites de chacun pour sauver les apparences. En outre, Irène méprise le métier de son mari, car elle ne comprend pas qu’il défende des coupables. Dans leurs rôles respectifs d’Irène et de Fritz, Hélène Degy et Aliocha Itovich adoptent un ton juste et convaincant. Egalement, l’on signalera l’habile jeu d’Ophélie Marsaud (Elsa) en pugnace maître chanteuse. Portée par une astucieuse mise en scène et par la performance naturelle des comédiens, La Peur s’avère un spectacle des plus convaincants !
La peur, d’après la nouvelle de Stefan Zweig
Adaptation et mise en scène : Elodie Menant
Avec Hélène Degy (Irène), Aliocha Itovich (Fritz) et Ophélie Marsaud (Elsa)
Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
Paris 8e
horaires : du jeudi au samedi à 19 h, le dimanche à 18 h
relâche du 21 mai au 30 juin 2017
jusqu'au 5 janvier 2019
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