Œuvre théâtrale très liée au contexte de son époque (la vogue de cercles savants, littéraires et artistiques sous Louis XIV), Les Femmes savantes est une pièce à la fois singulière, humaniste et railleuse. Molière s’y moquait des maîtresses de maison des élites et autres demi-cultivées s’entichant de littérature, de sciences ou de philosophie.
Il ne raillait d’ailleurs point le désir naturel de ces femmes de s’ouvrir à la culture mais le fait qu’elles attiraient par leur snobisme une meute de parasites, de poètes « bidon », de « pédants ». Dans Les Femmes savantes, le personnage de Trissotin - qui fut en partie inspiré par l’abbé Cotin, auteur de vers ampoulés - représente en quelque sorte tous ceux que l’auteur de Tartufe considérait comme « des imposteurs ». Ces femmes savantes et leurs coreligionnaires masculins sont habillés pour l’occasion dans les costumes rétros des années 60. Dans un décor sobre et minimaliste (grand lit, chaises, bibliothèque), les comédiens évoluent sur scène, réussissant l’exploit de donner sans surjouer à leurs personnages tout leur piquant et une épaisseur psychologique.
© Alain Richard - Les Femmes savantes (Théâtre des Quartiers d’Ivry)
Et sans doute la grande réussite de ce spectacle au ton décalé et subtilement réaliste - mis en scène de façon moderne et espiègle - est d’exposer avec beaucoup humour à la fois la variété des caractères et les contradictions des personnages pris dans des situations improbables. Exaltées et superficielles, Philaminte, Armande et Bélise sont confrontées à des personnages plus humains aux prétentions simples et réalistes (Henriette, Clitandre). Un peu à part Trissotin fait figure de grand manipulateur. Par l’emphase de son discours, il pourrait faire songer à un téléévangéliste, à un publicitaire ou à un animateur de télé à la mode. Chrysale est un mari et un père mou dont la conscience malheureuse se réveillera progressivement.
Particulièrement bien rodé, le spectacle évolue dans un environnement léger et suranné à la Labiche. Le langage codé et intégriste des femmes savantes sert autant à séduire qu’à exclure. « Bien parler, c’est dominer, et c’est le privilège d’une caste, celle des savants, des poètes, des lettrés dans laquelle elles rêvent [les femmes savantes] d’être admises et reconnues », note Elisabeth Chailloux à propos du contexte de la pièce. Plus de trois siècles après sa création, cette comédie très vivante aborde des thèmes toujours actuels : éducation, snobisme, arrivisme, imposture, désir, rivalité… Par son ton décalé et le jeu inventif des comédiens, ce spectacle se révèle au final très persuasif !
durée : 2 h 10
Les Femmes savantes de Molière
Mise en scène : Elisabeth Chailloux
Avec Anthony Audoux (Clitandre), Philippe Cherdel (Vadius), Bénédicte Choisnet (Henriette), Etienne Coquereau (Ariste), Camille Grandville (Philaminte), Florent Guyot (Trissotin), Pauline Huruguen (Armande), François Lequesne (Chrysale), Catherine Morlot (Bélise), Lison Pennec (Martine)
Manufacture des Œillets
Théâtre des Quartiers d’Ivry
1, place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine
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