Leonard Cohen (1934-2016)
Poète, chanteur et guitariste de folk canadien, Leonard Cohen est mort à 82 ans lundi 7 novembre, juste quelques semaines après la sortie de son opus testament You Want It Darker.
Leonard Cohen aura été le prophète de sa propre mort, survenue le 7 novembre, mais rendue publique le 10. Son dernier album, You Want it Darker, sorti le 21 septembre, jour de son 82e anniversaire, dans lequel il s’adressait une nouvelle fois directement à Dieu, sonnait comme un adieu. « If thine is the glory/Then mine must be the shame/You want it darker/Hineni, Hineni/I am ready my Lord » (« Si la gloire est Tienne, la honte sera mienne/Tu veux plus de ténèbres/Me voici, Me voici/Je suis prêt mon Dieu »). Ce disque, son quatorzième, dans lequel le cantor et les chœurs de la synagogue de son enfance à Montréal soutenaient sa voix, reprenant, en hébreu, son « Hineni » (« Me voici »), bouclait magnifiquement la boucle d’une vie accomplie. Dès l’annonce de sa mort jeudi soir, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant sa maison à Montréal. Sa chanson Hallelujah, l’un de ses plus grands succès, sorie en 1984, a été honorée. Le maire de Montréal, Denis Coderre, a fait mettre les drapeaux en berne. Le chef du gouvernement canadien, Justin Trudeau, lui a rendu un vibrant hommage. « Sa capacité de faire surgir toutes les dimensions des émotions humaines a fait de lui
l’un des musiciens les plus influents et durables de tous les temps. Son style a su transcender les modes. » Un hommage national, associant ses deux enfants Adam et Lorca, est prévu. Né le 21 septembre 1934 à Montréal, dans une influente famille juive originaire de Pologne et de Lituanie, Leonard était l’arrière-petit-fils du fondateur de la synagogue Shaar Hashomayim, Lazarus Cohen, et le petit-fils du rabbin de ce lieu de culte montréalais, Lyon Cohen. Il y a été scolarisé dès la maternelle, et y a fait sa barmitsva. À l’âge de 9 ans, il y a enterré son père. Ses obsèques y ont eu lieu jeudi.
« C’était le souhait de Leonard d’être enterré selon le rite traditionnel juif aux côtés de ses parents », a déclaré la communauté qui l’a inhumé dans son cimetière sur les versants du Mont-Royal. Le rabbin Adam Scheier a expliqué que des extraits de You Want it Darker, selon sa volonté, « ont été prononcés au lieu de sépulture, où reposaient déjà les membres de sa famille ». C’est en ces lieux que le jeune homme s’est imprégné de la spiritualité vibrante qui a nourri ses chansons. « J’ai entendu dire qu’il existe un accord secret/que David jouait et qui plaisait au Seigneur/ Mais la musique ne vous intéresse pas vraiment, n’est-ce pas ? », lance- t-il dans Hallelujah, éclairant par ces mots sa propre trajectoire, placée sous le double signe de l’écriture et de la musique. Être poète ou écrivain était l’ambition du jeune homme, étudiant à l’université McGill de Montréal, puis à Columbia à New York. La musique n’a été que son second choix, d’où la crainte de ne pas « intéresser vrai-ment » son Créateur. Menant une vie de bohème, Leonard Cohen passera sept ans sur l’île grecque d’Hydra où il écrit un recueil de poèmes, Flowers for Hitler, et deux romans, The Favorite Game (Jeux de dames, Éd. Christian Bourgois) et Beautiful Losers (Les Perdants magnifiques, idem). C’est là que ce grand amateur de femmes rencontrera sa muse, la Norvégienne Marianne Ihlen, qui lui inspirera So Long Marianne (en 1967) et Bird on the Wire (1969). C’est aussi par une lettre d’adieux écrite à Marianne Ihlen, peu avant sa mort, le 29 juillet dernier, que Leonard Cohen avait annoncé sa fin prochaine : « Je pense que je vais te suivre très bientôt. (…) Adieu, ma vieille amie. Mon amour éternel, nous nous reverrons », écrivait-il. Peu d’artistes ont su aussi bien que Leonard Cohen se tenir au point de jointure entre la chair et l’âme, entre le précaire et l’éternel. Ainsi dans Sisters of Mercy (1967), cette chanson mystérieusement située entre éros et agapè : « Les sœurs de la miséricorde (…) m’attendaient quand j’ai senti que je ne pouvais plus avancer. (…) Quand je suis parti, elles dormaient. J’espère que tu les rencontreras bientôt. N’allume pas les lumières, tu peux lire leur adresse à la clarté de la Lune. Et tu ne me rendras pas jaloux si j’apprends qu’elles ont adouci ta nuit. Nous ne nous aimions pas comme ça et, quand bien même, ce serait sans importance. » Celui qui s’était retiré près de dix ans dans un monastère zen nous a marqués par l’ampleur de sa quête spirituelle. Juif sans cesse tourné vers Dieu, il était aussi passionné par la figure du Christ et par la sainteté, évoquées tout au long de son œuvre. L’enfant anglophone de Montréal que sa nourrice catholique emmenait à la messe a consacré plus tard une de ses plus belles chansons à Jeanne d’Arc. Restera enfin l’élégance de cet homme, d’une courtoisie presque surannée avec son public. Cette réserve teintée d’humour qui lui faisait dire : « La poésie vient d’un endroit que personne ne commande et que personne ne conquiert. (…) Si je savais d’où viennent les bonnes chansons, je m’y rendrais plus souvent. »
Leonard Cohen, la grâce et l'humilité
Leonard Cohen aura été le prophète de sa propre mort, survenue le 7 novembre, mais rendue publique le 10. Son dernier album, You Want it Darker, sorti le 21 septembre, jour de son 82e anniversaire, dans lequel il s’adressait une nouvelle fois directement à Dieu, sonnait comme un adieu. « If thine is the glory/Then mine must be the shame/You want it darker/Hineni, Hineni/I am ready my Lord » (« Si la gloire est Tienne, la honte sera mienne/Tu veux plus de ténèbres/Me voici, Me voici/Je suis prêt mon Dieu »). Ce disque, son quatorzième, dans lequel le cantor et les chœurs de la synagogue de son enfance à Montréal soutenaient sa voix, reprenant, en hébreu, son « Hineni » (« Me voici »), bouclait magnifiquement la boucle d’une vie accomplie. Dès l’annonce de sa mort jeudi soir, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant sa maison à Montréal. Sa chanson Hallelujah, l’un de ses plus grands succès, sorie en 1984, a été honorée. Le maire de Montréal, Denis Coderre, a fait mettre les drapeaux en berne. Le chef du gouvernement canadien, Justin Trudeau, lui a rendu un vibrant hommage. « Sa capacité de faire surgir toutes les dimensions des émotions humaines a fait de lui
l’un des musiciens les plus influents et durables de tous les temps. Son style a su transcender les modes. » Un hommage national, associant ses deux enfants Adam et Lorca, est prévu. Né le 21 septembre 1934 à Montréal, dans une influente famille juive originaire de Pologne et de Lituanie, Leonard était l’arrière-petit-fils du fondateur de la synagogue Shaar Hashomayim, Lazarus Cohen, et le petit-fils du rabbin de ce lieu de culte montréalais, Lyon Cohen. Il y a été scolarisé dès la maternelle, et y a fait sa barmitsva. À l’âge de 9 ans, il y a enterré son père. Ses obsèques y ont eu lieu jeudi.
Leonard Cohen
« C’était le souhait de Leonard d’être enterré selon le rite traditionnel juif aux côtés de ses parents », a déclaré la communauté qui l’a inhumé dans son cimetière sur les versants du Mont-Royal. Le rabbin Adam Scheier a expliqué que des extraits de You Want it Darker, selon sa volonté, « ont été prononcés au lieu de sépulture, où reposaient déjà les membres de sa famille ». C’est en ces lieux que le jeune homme s’est imprégné de la spiritualité vibrante qui a nourri ses chansons. « J’ai entendu dire qu’il existe un accord secret/que David jouait et qui plaisait au Seigneur/ Mais la musique ne vous intéresse pas vraiment, n’est-ce pas ? », lance- t-il dans Hallelujah, éclairant par ces mots sa propre trajectoire, placée sous le double signe de l’écriture et de la musique. Être poète ou écrivain était l’ambition du jeune homme, étudiant à l’université McGill de Montréal, puis à Columbia à New York. La musique n’a été que son second choix, d’où la crainte de ne pas « intéresser vrai-ment » son Créateur. Menant une vie de bohème, Leonard Cohen passera sept ans sur l’île grecque d’Hydra où il écrit un recueil de poèmes, Flowers for Hitler, et deux romans, The Favorite Game (Jeux de dames, Éd. Christian Bourgois) et Beautiful Losers (Les Perdants magnifiques, idem). C’est là que ce grand amateur de femmes rencontrera sa muse, la Norvégienne Marianne Ihlen, qui lui inspirera So Long Marianne (en 1967) et Bird on the Wire (1969). C’est aussi par une lettre d’adieux écrite à Marianne Ihlen, peu avant sa mort, le 29 juillet dernier, que Leonard Cohen avait annoncé sa fin prochaine : « Je pense que je vais te suivre très bientôt. (…) Adieu, ma vieille amie. Mon amour éternel, nous nous reverrons », écrivait-il. Peu d’artistes ont su aussi bien que Leonard Cohen se tenir au point de jointure entre la chair et l’âme, entre le précaire et l’éternel. Ainsi dans Sisters of Mercy (1967), cette chanson mystérieusement située entre éros et agapè : « Les sœurs de la miséricorde (…) m’attendaient quand j’ai senti que je ne pouvais plus avancer. (…) Quand je suis parti, elles dormaient. J’espère que tu les rencontreras bientôt. N’allume pas les lumières, tu peux lire leur adresse à la clarté de la Lune. Et tu ne me rendras pas jaloux si j’apprends qu’elles ont adouci ta nuit. Nous ne nous aimions pas comme ça et, quand bien même, ce serait sans importance. » Celui qui s’était retiré près de dix ans dans un monastère zen nous a marqués par l’ampleur de sa quête spirituelle. Juif sans cesse tourné vers Dieu, il était aussi passionné par la figure du Christ et par la sainteté, évoquées tout au long de son œuvre. L’enfant anglophone de Montréal que sa nourrice catholique emmenait à la messe a consacré plus tard une de ses plus belles chansons à Jeanne d’Arc. Restera enfin l’élégance de cet homme, d’une courtoisie presque surannée avec son public. Cette réserve teintée d’humour qui lui faisait dire : « La poésie vient d’un endroit que personne ne commande et que personne ne conquiert. (…) Si je savais d’où viennent les bonnes chansons, je m’y rendrais plus souvent. »
Guillaume Goubert
source : La Croix du 14 novembre 2016, pages « Culture »
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