Expo Albert Marquet - Peintre du temps suspendu

Artiste inclassable, le peintre Albert Marquet (1875-1947) fait l’objet d’une importante exposition regroupant plus d’une centaine d’œuvres (peintures et dessins) que l’on peut découvrir au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.


Moins connu que son ami Matisse, Marquet a comme particularité d’avoir été un grand peintre moderne sans pour autant s’afficher à la pointe de l’avant-garde comme un Gauguin ou un Picasso. Du postimpressionnisme au fauvisme, cet artiste brillant - entré aux Beaux-Arts en 1895 dans l’atelier de Gustave Moreau - aura su côtoyer les grands mouvements de son époque tout en conservant son indépendance et un style particulier. Personnage discret, Marquet fut un infatigable voyageur et outre en France alla chercher l’inspiration de ses motifs en Europe, au Maroc, en Algérie et en Tunisie.

Albert Marquet (1875-1947), La Seine à Poissy 1908, huile sur toile, 65 x 81 cm

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris / Roger- Viollet © ADAGP, Paris, 2016 / Musée d’Art moderne / Roger-Viollet

Curieusement, et c’est un des mystères que cette expo judicieusement titrée Albert Marquet - Peintre du temps suspendu tente de nous dévoiler, ce maître du paysage oriente principalement son inspiration vers le thème de l’eau et sur tout ce qui en est proche : mer, fleuve, rivière, port, quai, bateau, plage… La passion picturale de Marquet pour les ports s’y révèle au fil des salles et nous pouvons la contempler à travers les tonalités diversifiées des ports du Havre, de Rotterdam, de Naples, d’Alger ou d’Hambourg. A travers d’audacieuses lignes ondulantes et de belles nuances de gris ou de bleu, qu’il soit à Fécamp, à Paris, à Tanger ou à Honfleur Marquet fixe pour la postérité le paysage sur fond de neige, de brouillard, de pluie ou de soleil couchant. Outre sa passion métaphysique pour l’eau, Marquet aime immortaliser dans ses toiles la foule grouillante, les fumées industrielles, les docks géants ou encore les boulevards pavoisés de drapeaux lors de la fête du 14 juillet.

Le Pont Neuf la nuit (1935)

huile sur toile, 81 x 100 cm

Centre Pompidou, Paris, France

C’est un peintre qui honore la ville et qui par sa palette urbaine feutrée nous renvoie à un univers littéraire à la Zola. On signalera notamment dans cette expo le superbe Le Pont Neuf la nuit (1935), tableau peu connu du fauvisme tardif, représentant le célèbre monument  la nuit avec en arrière-plan la Samaritaine. Astucieusement par le jeu des lampadaires, des  enseignes publicitaires,  et des phares automobiles, l’artiste distille dans ce Paris nocturne quelques surprenants effets de réverbération. Egalement, le parcours thématique de l’expo fait la part belle aux fameux dessins de Marquet, exprimant un goût certain pour la caricature, une attirance pour les silhouettes fuyantes - promises dans sa peinture à une belle postérité ! - et l’affirmation sensuelle d’un érotisme diffus.

Albert Marquet (1875-1947)

Nu dit fauve 1898,

Huile sur papier collé sur toile, 73 x 50 cm

© Musée des Beaux-Arts, Bordeaux /
ADAGP, Paris 2016

On signalera aussi la modernité de ses premiers portraits (proches de ceux de Manet), genre qu’il abandonnera progressivement, l'intimisme qui se dégage de ses vues de fenêtre ainsi que l’expressivité formelle de ses nus. Cette rétrospective nous fait donc revisiter notre Marquet, peintre que l’on croyait à tort un peu ennuyeux sous des dehors sages et vaguement impressionnistes. Finalement, le peintre des ports s'y révèle plutôt proustien. Emotive et discrète, variant indéfiniment sur fond d’horizon brumeux, de ballets incessants de bateaux et de silhouettes lilliputiennes, la peinture de cet humble fils d’employé des chemins de fer se profile comme celle d’un rêveur, d’un flâneur, fasciné à la fois par la modernité et l’intemporalité du paysage. A propos de Marquet, Baudelaire écrivit cette phrase qui résume subtilement le mystère de cet art : « Etre chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi, voir le monde, être au centre du monde et rester caché du monde. »

Expo Albert Marquet - Peintre du temps suspendu

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

11, avenue du Président Wilson
Paris 16e
horaires : du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, fermé le lundi, nocturne le jeudi de 18 h à 22 h


jusqu’au 21 août 2016

Marc Vaux, Albert Marquet sur son balcon du 1 rue Dauphine en 1945 

© Centre Pompidou - MnamCci - Bibliothèque Kandinsky - Marc Vaux