Comédie par nature farcesque, Les fourberies de Scapin (1671) est une pièce un peu à part dans le répertoire de Molière. Au Théâtre Douze, Imad Assaf en propose une mise en scène aussi subtile que rocambolesque, inscrivant ses comédiens dans un étincelant thriller aux accents pulsionnels et délirants.
Les fourberies de Scapin - qui ne connut guère le succès lors de sa création - est un grand cru théâtral. Souvent jouée, la pièce figure parmi les grands classiques de l’auteur de Tartufe avec une spécificité « farcesque », qui sans doute la différencie de comédies « intellectuelles » style Les Femmes savantes ou Les Précieuses Ridicules.
Les fourberies de Scapin - Théâtre Douze
Cependant, on y retrouve des thèmes moliéresques comme l’éternel conflit entre maîtres/valets ou parents/enfants ainsi qu’une réflexion (au sens large) sur le pouvoir, le désir, la compromission ou encore la crédulité. Dans ces Fourberies, deux étourneaux (Octave et Léandre) décident secrètement d’épouser deux jeunes femmes troublantes (Zerbinette et Hyancinthe), contrecarrant ainsi le projet de leurs pères (Géronte et Argante). Scapin (le valet) arbitrera le tout, éternel histrion, à la fois entremetteur trouble et bon samaritain, obscur et généreux, incontrôlable et familier. (Dans la pièce, c’est un personnage qui inspire tour à tour confiance et défiance.) Cette épique saga burlesque du XVIIe siècle se déroule dans l’étonnant décor d’un obscur entrepôt ambiance New York 1997.
Les fourberies de Scapin - Théâtre Douze
Portant des vêtements contemporains les personnages évoluent sur un fond sonore de rap et de bruitages inquiétants. Les effets visuels sont bien étudiés comme la beauté expressionniste qui émane du jeu de lumières arrosant les comédiens. Particulièrement saisissantes, les performances scéniques proposent des tableaux de corps à demi-dénudés et ensanglantés serpentant dans des tonneaux futuristes. Tout le spectacle est imprégné d'une drôlerie des situations, qui d’ailleurs n'est qu’une conséquence de la tension permanente qui saisit les personnages, obnubilés par leurs droits ou leur problématique amoureuse. Latente, la violence - synonyme de douleur - est au cœur du spectacle.
Les fourberies de Scapin - Théâtre Douze
Elle touche les ridicules Géronte et Argante, imbus d’eux-mêmes et possédés par leur passion malheureuse pour l’honneur. Egalement, elle transperce Octave et Léandre isolés et dominés par un amour gnangnan. Personnage plus complexe, Scapin est tout à la fois : courtisan, truand, médecin de l’âme, habile politique… Comme Knock, il est censé tout guérir et tout savoir ! La réussite de cette adaptation tient sans doute - outre le jeu brillant des comédiens - à sa façon opportunément culottée de suggérer le caractère chaotique des personnages par la force de l’expression corporelle et l'habile élaboration scénique d’un burlesque inquiétant. Egalement, l’on signalera toute la modernité de ce spectacle, qui interroge - au-delà des farcesques fêlures individuelles des personnages - toute l’ambiguïté de la relation entre Scapin et ses multiples interlocuteurs.
durée : 2 h
Les fourberies de Scapin de Molière
Mise en scène : Imad Assaf
Dramaturgie : Paul-Henri Véchambre
Avec Florence Fauquet (Zerbinette), Elise Fourneau (Hyancinthe), Brice Borg (Scapin), Paul-Henri Véchambre (Sylvestre), Emmanuel Rehbinder (Géronte), Angeli Hucher de Barros (Argante), Olivier Kuhn (Octave), Azad Boutella (Léandre), Vivien Niderkorn et Antoine de Saint-Sernin
Théâtre Douze
6, avenue Maurice Ravel
Paris 12e
du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 h 30
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