lundi 11 février 2013

Le Cercle de craie caucasien






 Inspiré du biblique Jugement de Salomon et d’une légende chinoise, Le Cercle de craie caucasien - écrit entre 1943 et 1945 par Bertolt Brecht (1898-1956) - évoque sur fond d’environnement révolutionnaire le conflit de deux femmes sur la garde d’un enfant. Au Théâtre 13, Fabian Chappuis met en scène cette pièce étrange, qui tient à la fois de l’épopée, du conte onirique et de la fable philosophique.
D’emblée, Le Cercle de craie caucasien intrigue avec ses accents ludiques plutôt inhabituels de la part d’un auteur jugé souvent comme didactique, difficile et (parfois) rébarbatif. Par sa tournure onirique, l’on songe plutôt à Jean la Chance (1919), road movie tragi-comique, qui offrait un nouvel aperçu de l’œuvre du plus célèbre des auteurs dramatiques allemands du XXe siècle. Néanmoins, bon nombre de thèmes sociaux propres à l’univers brechtien, comme l’aspiration à la justice ou son impérieuse nécessité, apparaissent dans cette pièce marquée par l’ambivalence. Le Cercle de craie caucasien nous conte l’histoire d’une fille de cuisine (Groucha Vachnadzé). A la suite d’une révolution qui coûte la vie au gouverneur géorgien (Georgi Abaschvili), elle s’enfuit avec le bébé (Michel), héritier du trône.

© Bastien Capela Le Cercle de craie caucasien

© Bastien Capela Le Cercle de craie caucasien



Poursuivie à travers tout le Caucase par les révolutionnaires - qui veulent tuer le nourrisson - cette femme traverse une série d’épreuves s’étalant sur deux années. Puis, dans une seconde partie, l’épouse du gouverneur (Natella Abaschvili), qui veut récupérer Michel, assigne en justice sa servante. Le juge (Azdak), personnage loufoque, tranche à sa façon le litige. Même si la pièce pâtit du texte parfois ampoulé de Brecht et de personnages trop stéréotypés (Natella ou le fiancé de Groucha), elle séduit fortement par son mystérieux climat, l’excellence du jeu des comédiens et la crudité sociale du message. Pièce chorale à la scénographie sobre et raffinée, elle enveloppe le spectateur d’un bel élan chorégraphique de lumières et de visages/masques expressifs. Les multiples personnages emblématiques du Cercle de craie caucasien évoluent sur un plateau habité par d’insolites plans de bois inclinés. Ils sont là revêtus de curieuses coiffes de cirque ou d’inquiétants masques de crânes de buffles. Quant à la présence de Michel, elle est subtilement incarnée par le fragile déhanchement d’une marionnette.

© Bastien Capela Le Cercle de craie caucasien

© Bastien Capela Le Cercle de craie caucasien



Très habilement, la forme stylisée de Fabian Chappuis nous emporte dans l’univers poétique, cruel et loufoque d’une saga théâtrale ambiguë mais jamais ennuyeuse, qui peut être perçue comme une parabole humaniste. Rythmée par de nombreux effets visuels et sonores, la fuite de Groucha et ses multiples rencontres nous entraîne dans une succession de tableaux éclairant de façon drolatique l’absurdité des situations ainsi que le caractère contradictoire des personnages. Ainsi, le juge Azdak paraît tout à la fois incompétent, humaniste, malhonnête et bon. Quant à Groucha, bien que répugnant de trahir la confiance de son fiancé, elle doit se résoudre à épouser un mort « bien vivant », dont la mère, en contrepartie d’une somme d’argent, organise le voyage. L’épreuve finale du Cercle de craie caucasien, qui doit déterminer laquelle des deux femmes aura le droit de maternité, s’imprègne de simulacre. L’espace théâtral semble lorgner définitivement vers l’absurde [bonjour Ionesco et Gombrowicz ! ]. Mais Brecht, optimiste, nous réserve une dernière surprise, semblant suggérer la primauté compassionnelle à la cruelle absurdité. Superbe spectacle à la forme moderne, Le Cercle de craie caucasien offre à l’esprit et au regard une interrogation crue sur le monde. 


durée : 2 h

Le Cercle de craie caucasien, de Bertolt Brecht
Mise en scène : Fabian Chappuis

Théâtre 13 / Seine

30, rue du Chevaleret
Paris 13e
mardi, jeudi, samedi (19 h 30),  mercredi et vendredi (20 h 30), dimanche (15 h 30)

du 17 janvier au 3 mars 2013


© Bastien Capela Le Cercle de craie caucasien





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