7 ans après Revenge, Coraline Fargeat revient avec The Substance, un film de genre à la fois ambitieux, délirant et fellinien où l'on peut lire en filigrane une critique viscérale des standards de la beauté et de l’immortalité. Coralie Fargeat s'inscrit dans la tradition d'un cinéma gore féministe comme Julia Ducournau dans le récent Titane (2021). Plus particulièrement, The Substance s'inscrit dans la mouvance du Body Horror, sous-genre du cinéma horrifique. Par l''aspect délicieusement outré et fantastique de The Substance l'on songe un peu au film Les Crimes du Futur (2022) de David Cronenberg dans lequel s'illustrait un artiste adepte de performances extrêmes.
(Grâce à l’aide de machines révolutionnaires et de sa partenaire, il se faisait extraire ses organes sous les yeux d’un public voyeur et révulsé.) Dans son premier long métrage Revenge (2017) Coralie Fargeat s'intéressait déjà à la thématique corporelle. Elle filmait des jeunes femmes en hypersexualisant leur corps, afin de dénoncer l’objectification dont elles font l’objet dans la société. Dans l'histoire de The Substance Elisabeth Sparkle est une comédienne has been, reconvertie dans une émission de fitness. Elle est poussée vers la sortie par un producteur sexiste et véreux (Dennis Quaid).
L'on pourra remarquer que dans le film les personnages masculins de The Substance sont la plupart antipathiques, du producteur cynique, sorte de Jimmy Savile à la sauce américaine au voisin libidineux en passant par les voix froides qui impitoyablement donnent à Elisabeth les consignes pour se procurer et s'injecter la substance miraculeuse permettant de rajeunir - du moins une semaine sur deux ! Sorte de pacte faustien passé entre ce laboratoire énigmatique et cette femme de 50 ans interprétée par Demi Moore, qui trouve là dans The Substance un rôle d'autant plus emblématique qu'il met indirectement à nu le tabou de l'éviction sociale des femmes à partir de 50 ans (notamment dans le domaine du spectacle et du divertissement) au profit d'autres plus jeunes.
Sans révéler trop les circonvolutions (nombreuses) du film l'on notera au niveau de la narration la dramatisation progressive du conflit entre Elisabeth Sparkle et Sue son alter ego, interprété finement par l'actrice Margaret Qualley. Cette cohabitation « monstrueuse » des deux corps, dont les mystérieux créateurs de la Substance ne cessent de répéter à Elizabeth qu'elles« ne sont qu’une » constitue sans doute la grande trouvaille scénique de The Substance. La réalisatrice a un sens certain de la virtuosité. Et The Substance peut déjà être considéré comme un classique du genre pour l'ambivalence du climat, pour la prouesse des effets visuels et des maquillages, mais aussi tout simplement pour son immense culot.
Avec The Substance Coralie Fargeat affiche un style cinématographique sans concessions, investissant la symbolique du beau et du laid sur un mode visuel particulièrement original mais aussi dénonçant le culte de la jeunesse et le machisme exacerbé des industries du rêve. Il s'y glisse aussi dans son film une dénonciation du sexisme quotidien, et une réflexion perçante sur la place (et la mise en concurrence qu'elle entraîne) du physique féminin dans la société aux différents âges de la vie.
Avec The Substance la cinéaste nous propose une expérience cinématographique narrative et formelle radicale, poussée au bout de sa logique. Un cinéma immersif virtuose par la forme et imprimant un fort message social comme par exemple pouvait l'exprimer le remarquable et controversé Enter the Void (2009) de Gaspard Noé. C'est sans doute pour cette raison que The Substance pourra séduire le public mais aussi dérouter certains spectateurs.
durée : 2 h 20
The Substance, un film de Coraline Fargeat, fantastique, horreur, France, 2024
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