lundi 1 juillet 2024

Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être


Dans Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être, Blandine Ponet nous fait découvrir à la fois un singulier personnage et un parcours artistique des plus étonnants. L'histoire de Guillaume Pujolle (1893-1971)  nous invite à « lire » une oeuvre  fiévreuse et de révolte qui peut être considérée aujourd'hui comme un exutoire aux déroutes de l'artiste.

Infirmière en psychiatrie, Blandine Ponet a consacré  plusieurs livres sur son expérience professionnelle [L'ordinaire de la folie. Une infirmière engagée en psychiatrie (Erès, 2006), Folie, leçon de choses. Journal d'une infirmière en psychiatrie (Erès, 2011)...] Dans Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être, elle reconstitue ce parcours en dents de scie et met en exergue cette oeuvre picturale   peu connue du grand public  mais considérée chez les familiers de l'Art brut comme une oeuvre phare du XXe siècle.    Rappelons au passage que cet art dit « brut »  inspira bon nombre de créateurs modernes et contemporains, de Pablo Picasso à Paul Klee, de Jean Dubuffet - qui est à l’origine de l’expression « art brut » - à Niki de Saint Phalle, plus récemment Annette MessagerMichel Nedjar et Paula Rego

Odilon Redon, 1938, produit de laboratoire, encre et crayon sur papier 

Et que bon nombre d'entre eux, par leurs écrits ou leur positionnement artistique, ont revendiqué une certaine connivence avec ces innombrables artistes, le plus souvent méconnus de leur vivant et redécouverts la plupart du temps  après leur mort.  Cet art brut fut souvent le fruit de la création de marginaux (internés, prisonniers) ou simplement de solitaires lunatiques, qui à l’écart des circuits artistiques traditionnels sublimaient leur vie sous la forme de peinture, sculpture, photographie, écriture, collage, assemblage ou architecture.  Bon nombre d'entre eux furent effectivement internés comme Aloïse Corbaz (1886-1964), Karl Brendel (1871-1925) ou Adolf Wölfi (1884-1930). Comptant une trentaine d'illustrations couleur d'oeuvres de Guillaume Pujolle  l'intéressant livre de Blandine Ponet tente de percer le mystère à la fois de l'homme et de sa création étrange. Guillaume Pujolle a  été menuisier et douanier. 

Giovanni Bellini, 30 novembre 1937, encre, crayon de couleur, crayon graphite et produits pharmaceutiques sur papier

Revenu sans doute traumatisé de ses années de mobilisation lors de la Première Guerre mondiale, il a été interné une grande partie de sa vie à l'asile psychiatrique de Braqueville, à Toulouse. L'autrice nous raconte ce parcours cabossé de cet homme obsédé par l’ordre et jaloux maladif, considéré comme délirant,  et dont la maladie mentale accompagna toute sa vie, sauf à la toute fin de cette dernière selon Blandine Ponet. Quant à sa peinture, elle a cette jolie formule pour la décrire :  « Si la peinture de Guillaume porte  en elle tant de violence, c'est un emportement par le trait et la couleur qui dégage une force d'affirmation et une liberté incroyable ; et ce mouvement, c'est la vie même. C'est en cela que la folie et Guillaume dans sa folie, nous parlent aussi d'humanité » (page 121). 

Sans titre, 1938, aquarelle, encre et crayon de couleur sur papier

Puis, abordant plus précisément cet univers tourmenté et paroxystique elle note: « Le monde  à la Pujolle est un monde singulier et bizarre constitué d'oiseaux pris dans les nuages, d'aigles, de serpents très gros et longs qui enserrent et étouffent des corps humains un éléphant, mais aussi des figures de personnages célèbres et de nombreux portraits, des personnages de femmes souvent mis en scène, des bateaux inspirés par des peintres connus...» (page 78). Le livre Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être  nous donne aussi  des indications précieuses sur le fonctionnement même des hôpitaux psychiatriques au cours du XXe siècle ainsi que que sur le regard posé sur la folie, celui des praticiens bien entendu mais aussi celui des intellectuels et amateurs d'art. Fascinés par les créations de leurs patients, bon nombre de médecins furent d'ailleurs les premiers collectionneurs de leurs oeuvres. 

Le mal de tête. Limagination, 6 décembre 1938, crayon noir, 
crayon de couleur, encre, gouache et produits pharmaceutiques sur papier

Dans son livre elle nous rappelle ce climat d'effervescence « médico surréaliste »  dans les années 30, rappelant ainsi le positionnement artistique du poète et médecin français Gaston Ferdière (1907-1990): « En 1936, le docteur Gaston Ferdière loge à Sainte-Anne avec son épouse. Poète à ses heures, il fréquente aussi le milieu surréaliste. C'est lui qui commande une fresque  pour la Salle de  Garde à Frédéric  Delanglade, peintre surréaliste. La  Salle de  Garde jouissait d'un prestige tout particulier... Une atmosphère éclectique permettait à un certain nombre d'artistes, bohèmes, clochards, poètes, d'y être parfois accueillis... Ferdière invita André Breton et Marcel Duchamp à déjeuner à Sainte-Anne afin de leur faire découvrir la fresque [...] Lorsqu'il sera à Rodez, Ferdière organisera une exposition d'art aliéné au musée de la ville et y fera une conférence intitulée 'Génie de l'aliénation' » (pages 33-34)

Blandine PonetGuillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être, éditions L'Atelier contemporain,  collection  « Squiggle », 128 pages, 32 illustrations couleur, 2024 

















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