Dans Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être, Blandine Ponet nous fait découvrir à la fois un singulier personnage et un parcours artistique des plus étonnants. L'histoire de Guillaume Pujolle (1893-1971) nous invite à « lire » une oeuvre fiévreuse et de révolte qui peut être considérée aujourd'hui comme un exutoire aux déroutes de l'artiste.
Infirmière en psychiatrie,
Blandine Ponet a consacré plusieurs livres sur son expérience
professionnelle [
L'ordinaire de la folie. Une infirmière engagée en psychiatrie (Erès, 2006),
Folie, leçon de choses.
Journal d'une infirmière en psychiatrie (Erès, 2011)...] Dans
Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être, elle reconstitue ce parcours en dents de scie et met en exergue cette oeuvre picturale peu connue du grand public mais considérée chez les familiers de l'Art brut comme une oeuvre phare du XXe siècle. Rappelons au passage que cet art dit « brut » inspira bon nombre de créateurs modernes et contemporains, de
Pablo Picasso à
Paul Klee, de
Jean Dubuffet - qui est à l’origine de l’expression « art brut » - à
Niki de Saint Phalle, plus récemment
Annette Messager,
Michel Nedjar et
Paula Rego…
Odilon Redon, 1938, produit de laboratoire, encre et crayon sur papier
Et que bon nombre d'entre eux, par leurs écrits ou leur positionnement artistique, ont revendiqué une certaine connivence avec ces innombrables artistes, le plus souvent méconnus de leur vivant et redécouverts la plupart du temps après leur mort. Cet art brut fut souvent le fruit de la création de marginaux (internés, prisonniers) ou simplement de solitaires lunatiques, qui à l’écart des circuits artistiques traditionnels sublimaient leur vie sous la forme de peinture, sculpture, photographie, écriture, collage, assemblage ou architecture. Bon nombre d'entre eux furent effectivement internés comme Aloïse Corbaz (1886-1964), Karl Brendel (1871-1925) ou Adolf Wölfi (1884-1930). Comptant une trentaine d'illustrations couleur d'oeuvres de Guillaume Pujolle l'intéressant livre de Blandine Ponet tente de percer le mystère à la fois de l'homme et de sa création étrange. Guillaume Pujolle a été menuisier et douanier.
Giovanni Bellini, 30 novembre 1937, encre, crayon de couleur, crayon graphite et produits pharmaceutiques sur papier
Revenu sans doute traumatisé de ses années de mobilisation lors de la Première Guerre mondiale, il a été interné une grande partie de sa vie à l'asile psychiatrique de Braqueville, à Toulouse. L'autrice nous raconte ce parcours cabossé de cet homme obsédé par l’ordre et jaloux maladif, considéré comme délirant, et dont la maladie mentale accompagna toute sa vie, sauf à la toute fin de cette dernière selon Blandine Ponet. Quant à sa peinture, elle a cette jolie formule pour la décrire : « Si la peinture de Guillaume porte en elle tant de violence, c'est un emportement par le trait et la couleur qui dégage une force d'affirmation et une liberté incroyable ; et ce mouvement, c'est la vie même. C'est en cela que la folie et Guillaume dans sa folie, nous parlent aussi d'humanité » (page 121).
Sans titre, 1938, aquarelle, encre et crayon de couleur sur papier
Puis, abordant plus précisément cet univers tourmenté et paroxystique elle note: « Le monde à la Pujolle est un monde singulier et bizarre constitué d'oiseaux pris dans les nuages, d'aigles, de serpents très gros et longs qui enserrent et étouffent des corps humains un éléphant, mais aussi des figures de personnages célèbres et de nombreux portraits, des personnages de femmes souvent mis en scène, des bateaux inspirés par des peintres connus...» (page 78). Le livre Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être nous donne aussi des indications précieuses sur le fonctionnement même des hôpitaux psychiatriques au cours du XXe siècle ainsi que que sur le regard posé sur la folie, celui des praticiens bien entendu mais aussi celui des intellectuels et amateurs d'art. Fascinés par les créations de leurs patients, bon nombre de médecins furent d'ailleurs les premiers collectionneurs de leurs oeuvres.
Le mal de tête. Limagination, 6 décembre 1938, crayon noir,
crayon de couleur, encre, gouache et produits pharmaceutiques sur papier
Dans son livre elle nous rappelle ce climat d'effervescence « médico surréaliste » dans les années 30, rappelant ainsi le positionnement artistique du poète et médecin français Gaston Ferdière (1907-1990): « En 1936, le docteur Gaston Ferdière loge à Sainte-Anne avec son épouse. Poète à ses heures, il fréquente aussi le milieu surréaliste. C'est lui qui commande une fresque pour la Salle de Garde à Frédéric Delanglade, peintre surréaliste. La Salle de Garde jouissait d'un prestige tout particulier... Une atmosphère éclectique permettait à un certain nombre d'artistes, bohèmes, clochards, poètes, d'y être parfois accueillis... Ferdière invita André Breton et Marcel Duchamp à déjeuner à Sainte-Anne afin de leur faire découvrir la fresque [...] Lorsqu'il sera à Rodez, Ferdière organisera une exposition d'art aliéné au musée de la ville et y fera une conférence intitulée 'Génie de l'aliénation' » (pages 33-34).
Blandine Ponet, Guillaume Pujolle. La peinture, un lieu d'être, éditions L'Atelier contemporain, collection « Squiggle », 128 pages, 32 illustrations couleur, 2024
A lire :
Anne Bonnin, Corpus Painting Laurent Proux, éditions Sémiose, 48 pages, 2024
Texte bilingue (en français et en anglais)
Franck Maubert, Bacon - Eclats d'une vie, broché, grand format, éditions Seghers, 240 pages, 2023
Jacques Lambert, Soutine intime, Document, éditions Fauve, 198 pages, 2023
Collectif, La poésie du quotidien - Robert Lotiron (1886-1966), grand format, éditions Gourcuff Gradenigo, 191 pages, 2022
José Alvarez, Anselm Kiefer - Biographie, livre broché, format, 20,6 x 14,5 cm, éditions du Regard,
350 pages - 150 illustrations quadri, 2021
http://blogdephaco.blogspot.com/2021/12/anselm-kiefer-biographie.html#more
Pierre Moignard, avec des textes de Véronique Giroud, Catherine Grenier, Fabrice Hergott, Rodolphe Olcèse, Didier Ottinger, broché à rabats, langue (français-anglais), éditions Dilecta, 128
pages / 120 illustrations, 2021
http://blogdephaco.blogspot.com/2021/07/pierre-moignard.html#more
Sophie Chauveau, Sonia Delaunay - La Vie magnifique, éditions Tallandier, 416 pages, 2019
http://blogdephaco.blogspot.com/2019/07/sonia-delaunay-la-vie-magnifique.html#more
Claude Darras, Louis Toncini - Le maître de Rive-Neuve, 24 x 32 cm ; relié sous jaquette, 288 pages, éditions Hervé Chopin, 2019
http://blogdephaco.blogspot.com/2019/06/louis-toncini-le-maitre-de-rive-neuve.html#more
Jean-Marc Huitorel, Tal Coat en devenir 1905-1985 176 pages ; 20 x 25 cm ; broché, préface de Estelle Guille des Buttes-Fresneau, avant-propos de Olivier Delavallade, éditions Locus Solus, 2019
http://blogdephaco.blogspot.com/2019/04/tal-coat-en-devenir-1905-1985.html#more
Lydia Harambourg, Jean-Michel Coulon 1920-2014, ouvrage bilingue français-anglais, éditions Gourcuff Gradenigo, format 24 x 28 cm, relié, 208 pages, 2018
Raymond Rochette, l’obsession de l’industrie, coédition Somogy/Ecomusée Creusot Montceau, 175 pages, 2017
Lydia Harambourg, Brigitte Humblot, Humblot 1907-1962, préface d’Emmanuel Bréon, éditions Somogy, 256 pages / 300 illustrations, 2016
Dominique Lobstein,
Joaquin Sorolla bords de mer, éditions des Falaises, 80 pages, 2016
Michel Charzat, André Derain - Le titan foudroyé, éditions Hazan, collection « Beaux-Arts », 384 pages, 2015 - 195 illustrations dont 91 reproductions en couleurs
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