Les mystères de Barcelone

Avec Les mystères de Barcelone Lluis Danes signe un premier long métrage prenant entre thriller et récit onirique. Pour ce film le réalisateur espagnol s'est inspiré en partie d'une affaire judiciaire - au début du XXe siècle - ayant défrayé la chronique sur fond de proxénétisme, de sorcellerie et de meurtre d'enfant. La tueuse en série la plus célèbre de Barcelone s'appelait Enriqueta Marti (1868-1913) mais des investigations récentes ont établi que les faits qui lui étaient reprochés tenaient plus du mythe et de la rumeur que de faits vérifiés.

Les mystères de Barcelone

Lluis Danes pétrit son film autour de cette image de femme inquiétante, considérée comme folle. Cette dernière est interprétée par Nora Navas, actrice espagnole notamment réputée pour son rôle dans Pain noir (2011) d'Agusti Villaronga. Mais le personnage principal est Sebastia Comas, un journaliste écartelé entre la routine  mensongère de son organe de presse et sa délicate enquête sur un réseau pédophile.   Dans la peau de ce  personnage tenace  au flegme tout britannique - mi-Maigret, mi-Sherlock Holmes - Roger Casamajor se profile plutôt crédible.

Les mystères de Barcelone

Et même si parfois son attachement à découvrir la vérité débouche sur un jeu un peu conventionnel l'on est pris par cette histoire de solitaire combat journalistique en vue d'innocenter une femme à la réputation sulfureuse.  Sans didactisme raseur et sans effets visuels larmoyants  Les mystères de Barcelone nous interpelle aussi  sur  les grandes préoccupations sociales qui tenaillaient  tant, dès le XIX e siècle puis au siècle suivant des penseurs aussi divers que Marx, Hugo, Zola, Orwell ou Steinbeck. 

Les mystères de Barcelone

D'une façon nuancée le long métrage de Lluis Danes nous suggère que la misère est source de tous les vices et qu'il existe un fossé irrémédiable entre la haute bourgeoisie et  le prolétariat.  En outre, l'on signalera  le raffinement visuel des Mystères de Barcelone.  Avec une image très léchée, portée par une mise en scène onirique et gothique le cinéaste a recréé dans son film cette atmosphère trouble (un peu à la Dickens) qui caractérisait  une grande ville industrielle du début du XXe siècle.  Pour Les mystères de Barcelone il a créé des décors sophistiqués, reconstituant El Raval, un des quartiers typiques de la capitale de la Catalogne.

Les mystères de Barcelone

Le langage cinématographique de Danes restitue habilement  son ambiance urbaine, pauvre et décadente avec  ses entrepôts,  ses maisons closes, ses cantines populaires ou ses entreprises de textile.  L'on signalera également le réalisme poétique, qui se dégage des costumes historiques.  L'importance symbolique de personnages secondaires (avocat, policier, prostituée, religieuse, maquerelle) contribue à donner au film une certaine virtuosité  et permet une habile  progression narrative orientée vers un climat angoissant voire fantastique.

Les mystères de Barcelone

Ville tentaculaire, sensuelle et cosmopolite, Barcelone nous est montrée dans ce long métrage comme le lieu de tous les vices où des notables sans scrupules et avides de chair fraîche, s'adonnent  en toute impunité à leurs penchants coupables. Auréolées d'un climat expressionniste (nudités,  décor kitch, maquillages outranciers) les scènes de bordel figurent sans doute, par leur  grimaçante expressivité, parmi les plus intéressantes du film.  L'on songe à des classiques avant-gardistes comme La Cité des femmes (1980) de Fellini ou Le  Bal des vampires (1967) de  Polanski. 

Les mystères de Barcelone

Le personnage de Sebastia Comas n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui de Bill (joué par Tom Cruise) dans Eyes Wide Shut (1999) de Kubrick, quand  on le voit errer de pièce en pièce, cachant à la fois son identité et assistant médusé aux ébats sexuels des notables.    Avec   Les mystères de Barcelone  le cinéaste  nous propose un film alerte à la mécanique parfaitement huilée, mêlant astucieusement horreur, série noire, réalisme urbain, histoire de l'Espagne et climat de contes de fées. Sa forme cinématographique s'avère d'autant plus séduisante que Danes a  ingénieusement  alterné  la couleur et le noir et blanc dans son film. 

Les mystères de Barcelone

En outre, l'image cinématographique  possède une réelle  puissance narrative, nourrie symboliquement  par  un élan poétique.  En revanche,  l'histoire se profile parfois un peu redondante ; les personnages un peu stéréotypés. L'enchaînement des scènes ne semble pas toujours judicieuse, voire labyrinthique. Les mystères de Barcelone convainc surtout par son orientation vers la progression psychologique du journaliste  Sebastia Comas, pris dans un combat, davantage kafkaïen que cornélien, pour rétablir la vérité. 

Les mystères de Barcelone

Type même de l'antihéros, le personnage interprété par Roger Casamajor  nous apparaît dès lors comme un être solitaire, cerné par les puissances du mal, incapable malgré sa persévérance de renverser  l'ordre naturel des choses, c'est à dire celui de l'establishment corrompu et destructeur. C'est peut être dans cette longue gestation de la douleur humaine, dans ce combat  social désespéré  du journaliste où  à l'extérieur ni le courage ni  le respect de l'humanité n'ont droit de cité qu'il faut chercher une certaine intensité au film Les mystères de Barcelone.

durée : 1 h 45

Les mystères de Barcelone, un film de Lluis Danes, Espagne, 2020, noir et blanc et couleur
Avec Nora Navas, Roger Casamajor, Bruna Cusi, Sergi Lopez…