lundi 28 mai 2018

Un ethnologue au pays du luxe



Dans Un ethnologue au pays du luxe Marc Abélès propose une étonnante enquête sur l’univers du luxe. Sujet peu traité, sinon sous l’angle du marketing, le luxe rebute et séduit à la fois pour ses évidentes connotations  politiques, sociales et économiques.


Vilipendé par la sociologie moderne (Barthes, Bourdieu), qui y voit l’expression symbolique de la domination d’une classe par une autre, le luxe est également méprisé par tous les penseurs postrousseauistes, qui en  soulignent le caractère profane (égoïsme et avidité)  Une des caractéristiques du luxe est qu'il fascine tout le monde.  Dans Un ethnologue au pays du luxe Marc Abélès explore le phénomène du luxe, étudiant simultanément sa propre logique de l’économie mondialisée mais aussi sa dimension de pur désir. Dans une première partie l’auteur nous rappelle les oppositions doctrinales sur le luxe comme celle qui opposait Rousseau et Voltaire ou plus tard Sombart et Weber. Pour Sombart, auteur d’un réputé Luxe et capitalisme, la recherche du luxe permet l’émergeance d’une nouvelle société dynamique. Pour Weber, au contraire, le luxe ne peut avoir le moindre rôle positif dans l’histoire des économies occidentales. Mêlant dans sa recherche données socio-économiques et histoire des mentalités, Abélès nous propose un récit méconnu du luxe, si intimement lié à une recherche permanente de statut social : des Kwakiutl d’Amérique du Nord adeptes de la pratique du potlach aux derniers nababs russes, indiens ou chinois en quête permanente des prestigieux produits de la civilisation occidentale ‘parfum, automobile, vêtement, montre… L’auteur évoque notamment le rapport ambigu entre le luxe et l’art contemporain, la dimension politique et sentimentale du luxe en Chine ainsi que le risque de banalisation des principales marques de luxe, condamnées à se réinventer perpétuellement pour ne pas paraître trop ringardes. Pour leur communication, donnant lieu à une multitude d’initiatives esthétiques et philanthropiques les dernières tendances des grandes marques seraient le patrimoine, l’écologie, la nature, bref l’authenticité. Constatant ce phénomène, Abélès note (p.94) : « On exalte les racines, on crée un récit qui ressemble parfois à une fiction. La circulation généralisée des marchandises a brouillé le message. Le luxe n’est pas cosmopolite, il est le fruit d’une tradition unique, incomparable (un terroir, une petite ville) » (Un peu plus loin (p.95), l’auteur cite l’exemple emblématique de la maison de mode Ermenegildo Zegna, fondée en 1910 - dans la province de Biella, au nord du Piémont - dont l’image selon lui « est synonyme de cette permanence et de cet enracinement, associés à un environnement présenté comme exceptionnel ».

Marc Abélès, Un ethnologue au pays du luxe, éditions Odile Jacob, 156 pages, 2018

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