lundi 21 mai 2018

La Vergogne


Au Théâtre de Belleville, Flora Bourne-Chastel met en scène son texte La Vergogne, chronique familiale tendre et féroce sur fond d’exil intérieur et d’univers rural panthéiste.

Evoluant sous la forme d’une enquête familiale et intime, La Vergogne par ses thèmes obsessionnels - la solitude, l'atavisme des sentiments, la souffrance morale, la recherche des racines) n’est pas sans dégager un délicat petit parfum de Tchekhov et de Lagarce. Comme le  Louis de Juste la fin du monde (Lagarce, 1990) le personnage principal de La Vergogne, Hortense Herman, vient dans le village de son enfance plusieurs années après l’avoir quitté, faisant resurgir souvenirs et tensions familiales. La Vergogne est  le récit des retrouvailles problématiques de cette Hortense Herman  auprès de ses amis d’enfance, en particulier une femme du nom de Lavinia.

La Vergogne - Théâtre de Belleville

Cette  étrange et douloureuse histoire a comme toile de fond la mystérieuse disparition d’un grand-père (celui d'Hortense) et l'ambivalence des sentiments  de l' entourage d'Hortense.  Ravivés par la  venue inopinée d'Hortense, ces sentiments, longtemps contenus, révéleront les personnages à eux-mêmes,  écartelés entre désirs, vieilles rancunes et tentatives d'explication  alambiquées. Simple et éloquent, le décor de La Vergogne donne un ton certain au spectacle : image subliminale de forêt, petites lampes et pots de plantes. Toutes ces offrandes éparpillées invitent directement le spectateur à rentrer dans cette chronique rurale aux relents naturalistes, écologiques et fantastiques. Dans La Vergogne, on parle beaucoup d’une source, de miel, de ruches, de mûres… Poétique, suggestif,  tendre ou violent, le texte de Bourne-Chastel  suggère à la fois l’aspect âpre et cruel de cette nature mais aussi sa potentialité toute vibrante à confronter les êtres à eux-mêmes,   à leur offrir « le merveilleux ».

La Vergogne - Théâtre de Belleville

Ainsi, on peut  interpréter  l'absence prolongée d'Hortense Herman comme une trahison des codes et des secrets de son enfance.  Autant la mise en scène que le jeu des comédiens de La Vergogne nous laisse suggérer que les anciens amis d'enfance d'Hortense, au-delà de  leurs différences propres, forment un groupe nettement  réprobateur et hostile à l'univers urbain que symbolise maintenant à leurs yeux Hortense.   A la fois attachants et mesquins, sincères et névrosés, possessifs et indifférents, les personnages de La Vergogne, irrémédiablement liés à cette terre, ne s’appartiennent peut être même plus.  Sans avoir besoin de surjouer les culs-terreux despotiques les excellents comédiens de La Vergogne contribuent à donner beaucoup de caractère et de charme à un texte subtil invitant à la méditation, qui au-delà du contexte rural et conflictuel de son histoire peut s'interpréter comme une interrogation un peu douloureuse sur le temps qui passe et sur le concept flottant d'identité.

La Vergogne - Théâtre de Belleville

Par sa dimension mystique et existentielle ainsi que pour son climat entre chien et loup La Vergogne séduira  ceux qui apprécient le romantisme noir de pièces comme Le Baladin du monde occidental, texte cruel de  John Millington Synge (1871-1909) à la beauté  funambulesque et sauvage.  Egalement, il intéressera fortement ceux qui apprécient  les textes délicats et mélancoliques  de son compatriote Brian Friel (1929-2015), parfois surnommé le « Tchekhov irlandais ».  
Comme l'exprime un personnage de La Vergogne, soulignant implicitement l'irrémédiable mélancolie qui entoure le thriller rural : « Il ne faudrait jamais revenir aux temps cachés des souvenirs du temps béni de son enfance »

durée : 1 h 20

La Vergogne
Texte et mise en scène : Flora Bourne-Chastel
Avec Sylvie Beurtheret, Jean-Baptiste Florens, Marussia Henrich, Valentine Lauzat, Mélanie Peyre et Antoine Sastre

Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple
Paris 11e
horaires : du mercredi au samedi à 19 h 15, le dimanche à 15 h (relâche le 26 mai)

jusqu'au 27 mai



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