Avec Dans la forêt, Gilles Marchand [L’Autre Monde, 2010] signe un film émouvant et crépusculaire, aux confins du fantastique, du thriller et du drame psychologique.
Pour ce 3e long métrage, qu’il a coécrit avec Dominik Moll, le réalisateur français renoue avec certaines obsessions panthéistes que l’on repérait déjà dans les précédents, comme l’omniprésente forêt de Qui a tué Bambi ? (2003). Pour cette somptueuse production franco-suédoise, qui s’est déroulée dans le cadre touffu et sauvage de la région de Göteborg ainsi qu’en France, Gilles Marchand nous offre un film de genre à fort climat. Dans la forêt se profile sous la forme discrète d’un conte initiatique (qui ne dirait pas son nom) sur fond de brisures conjugales, de retour vers la nature, de secrets cachés et d’un zeste d’ésotérisme. Le scénario s’y développe autour de retrouvailles - le temps d’un été en Suède - entre un père déprimé et solitaire et ses deux enfants (Tom et Ben). Invités par leur ascendant à passer quelques jours dans une cabane au bord d’un lac situé au milieu d’une immense forêt isolée, les enfants commencent à s’interroger sur ce séjour indéfiniment prolongé.
Dans ce long métrage aux contours expressionnistes et plongeant au cœur de la nature suédoise, Marchand instaure un climat étrange et perturbant, optant finalement pour un personnage de père assez vague et la description d’une relation filiale certes régie par le sentiment de la peur mais aussi par une certaine tendresse. Dans ce rôle d’homme dur et déraciné mais aimant profondément ses enfants, Jérémie Elkaïm se révèle très convaincant. En permanence, le film nous le montre sous les traits d’un homme sous tension et potentiellement dangereux, prêt à péter les plombs. Egalement, l’on signalera le ton juste et réaliste de jeunes comédiens instinctifs, Théo van de Voorde dans le personnage de Ben ; Timothé vom Dorp, dans celui de Tom. Avec ce dernier, le réalisateur a sans doute trouvé l’acteur idéal avec l’expressive façon muette d’interroger le père et de le juger par son simple regard. D’ailleurs dans le film, ce jeu naturel facilite la compréhension de la propre logique de l’enfant par rapport aux incohérences du père, et souligne sans niaiserie le regard critique et déjà élaboré de Tom, par rapport au monde adulte.
Sous des dehors d’intrigue vague, de dialogues anodins et de grandiloquents paysages forestiers, Dans la forêt se révèle un film métaphysique fort prenant, interrogeant le spectateur sur la peur de l’inconnu et la crainte pour l’enfant de devenir adulte. La peur de Tom envers son père semble aller de pair avec celle de sa vision de l’homme défiguré, symbolisant le diable. (Parmi ses influences pour ce film, Marchand cite : La Féline de Jacques Tourneur, La Nuit du chasseur de Charles Laughton, Le Sixième Sens de Shyamalan et Shining de Stanley Kubrick.) Dans ce courant minoritaire et excitant d’un cinéma français contemporain orienté vers une dramaturgie onirique et fantastique, Dans la forêt occupera une belle place à côté de L’Indomptée de Caroline Deruas (2017) de Personal Shopper (2016) d’Olivier Assayas et de La fille et le fleuve d’Aurélia Georges (2015).
durée : 1 h 43
Dans la forêt, un film de Gilles Marchand, France/Suède, 2016
Jérémie Elkaïm (le père), Timothé Vom Dorp (Tom), Théo Van de Voorde (Ben), Mika Zimmerman (l’homme défiguré), Sophie Quinton (la mère), Mireille Perrier (la pédopsychiatre)
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