Dans Jim Morrison et le diable boiteux, le journaliste et écrivain Michel Embareck évoque l’épopée de deux grands fauves blessés victimes du rock’n’roll circus : Gene Vincent et Jim Morrison.
Ces deux destins furent marqués par l’errance, le malheur et l’autodestruction. Dans un roman alerte au style cinématographique l’auteur fait donc revivre donc ces deux monstres sacrés de l’Amérique musicale d’après-guerre. Le premier Gene Vincent (1935-1971), légende du rock’n’roll, victime d’un terrible accident de moto à l’âge de 20 ans qui le rendit boiteux, marqué par les ravages de l’alcool et les problèmes conjugaux ; le second, Jim Morrison (1943-1971), chanteur du groupe The Doors et poète rebelle inclassable, qui rêva de fuir l’enfer urbain et pailleté de Los Angeles et finit sa vie tragique à Paris. Embareck réunit donc ces deux mythes du rock morts la même année - qui devinrent amis sur le tard -, exprimant à travers des chapitres courts et une prose rythmée aux senteurs de bourbon les multiples passerelles symboliques entre les deux hommes. Pour exprimer au mieux ce portrait improbable d’un Roi Lézard et de ce « diable boiteux » l’auteur a inscrit ses deux personnages dans un décor intimiste, voire réaliste dans le quel gravitent des membres de leur famille, un vieil animateur de radio philosophe ou encore des stars de l’époque (Elvis Presley, Alice Cooper, John Lennon). Au fil de pages imprégnées d'une poésie brutale, toute cette Amérique convulsive, musicale et très politisée des années 1968-71 se reflète dans toute sa moiteur, reflétant le chaos de cette période troublée. D’une certaine façon Jim Morrison et le diable boiteux offre une réflexion crue et incisive sur la starification et ses ravages. Ainsi, les problématiques destructives entourant Vincent et Morrison apparaissent universelles et pas fondamentalement différentes de celles de bon nombre d’autres musiciens ou chanteurs : de Janis Joplin à Kurt Cobain en passant par Amy Winehouse ou Jimi Hendrix. A travers les déchirures humaines et des paysages urbains improbables, ce roman, porté par un fort climat, explore le spleen et le désenchantement d’une Amérique envoûtée par elle-même. L’auteur nous propose un texte à la fois grinçant et imagé comme dans ce monologue d’un Morrison désenchanté et moqueur, jugeant ainsi les acrobaties télévisuelles du King : Le voilà mûr pour Las Vegas, ce voyou en peau de lapin, ricane Morrison en se claquant les fesses, dos à l’écran. Sûr qu’il fera mouiller les mémères choucroutées, que ça leur rappellera le temps où leur copain les culbutait à l’arrière de la Chevrolet des vieux ! (p. 20)
Michel Embareck, Jim Morrison et le diable boiteux, éditions l’Archipel, 224 pages, 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire