lundi 9 janvier 2012

Le dîner

Voici, tant par la forme que par le contenu, un roman des plus curieux : Le dîner,  best-seller  du Néerlandais Herman Koch. C'est un récit subtil, tout en progression psychologique, qui débute en toute nonchalance : deux frères se donnent rendez-vous avec leurs épouses dans un restaurant branché d’Amsterdam.
Pince-sans-rire, le narrateur Paul –  l’un des deux frères – relate cette soirée, épluchant dans ses souvenirs ces babillages mondains  sur la carte des vins, un film de Woody Allen ou encore  de paisibles vacances en Dordogne. Un décor culinaire chichiteux sert de cadre à ces conversations anodines, seulement interrompues par le ballet continuel de la présentation de plats aux noms pompeux, servis à une cadence militaire par un gérant  cérémonieux et  une fourmilière de serveuses en tablier noir. Divisé en 46 chapitres, Le dîner  se profile d’emblée comme une très prenante tragicomédie littéraire, saucissonnée en 6 actes morfalesques : Apéritif/L’entrée/Le plat/Le dessert/Le digestif/Le pourboire. Dans ce roman  drôle et cruel, Koch  prend tout son temps pour nous laisser deviner la véritable raison de ce rendez-vous à quatre dans cet établissement huppé. Au fil de la consommation des mets, nous pénétrons simultanément dans l’univers familial et intime des deux frères : celui de Serge Lohman, politicien   cynique et théâtreux ; celui de Paul, ex-professeur d’histoire,  à la philosophie subtilement tordue et destroy.

Herman Koch

Dans une grosse première partie du dîner, en attendant le dénouement brutal qui se profile vers Le dessert, Koch  tisse sur ses personnages une toile à la fois railleuse et oppressante. Ses quatre convives lui permettent d’aborder de véritables sujets de société, passant du coq à l’âne, comme  l’appropriation des villas par les Néerlandais en Dordogne, la vanité narcissique d’un futur Premier ministre des Pays-Bas, la violence inquisitoriale des images de You Tube ou encore la lâcheté familiale et la souffrance paternelle. Mais la vraie réussite de ce Dîner, c’est d’aller tambour battant au-delà du social. Ses personnages à la personnalité crue nous apparaissent tout à fait plausibles. Le tempérament paroxystique quoique différent des deux frères préfigure d’une certaine manière l’extrême violence – et cruauté – de Michel et Rick, leurs deux fils. Roman nihiliste à l’humour dévastateur,  Le dîner est une effroyable histoire à six qui nous révèle la banalité et la monstruosité de deux adolescents. Sous un décor   de cuisine délicate et naturelle, Herman Koch nous plonge les tripes dans le tragique du quotidien de gens apparemment  bien dans leurs pompes. Et il le fait avec une touche exquise d’ingénuité batave, comme dans les apartés de  gérant du  Dîner :

« Le ris d’agneau est mariné dans de l’huile de Sardaigne et agrémenté de roquette, a expliqué le gérant qui entre-temps était arrivé devant l’assiette de Claire et indiquait de son auriculaire deux minuscules morceaux de viande. Les tomates mûries au soleil viennent de Bulgarie. »     (L’entrée, chapitre 9, page 54)
 
Herman Koch, Le dîner, roman traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin, éditions Belfond, 330 pages, 2011.


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