Au Théâtre de la Renaissance (Paris 10e) se joue l'injuste, pièce écrite par Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre et Alexis Kebbas dans une mise en scène de Julien Sibre. Inspiré de la vie de François Genoud, surnommé « le banquier des nazis », c'est un thriller psychologique haletant et labyrinthique, interprété par le percutant duo théâtral formé par Elodie Navarre et Jacques Weber.
L'action se déroule dans le décor froid d'un espace déshumanisé (un bunker) fermé par une porte de métal et occupé par une table basse et quelques vieux tableaux, qui ont été donnés par Hitler à son cher ami banquier suisse, un nazi influent sous le IIIe Reich, qui a été aussi son exécuteur testamentaire. Il s'appelle François Genoud, et a échappé curieusement toute sa vie à la justice et profite de ses dernières heures pour livrer une interview historique à une jeune journaliste d'un quotidien israélien, bien décidée à pousser le nazi dans ses derniers retranchements.
© Jonty CHAMPELOVIER
l'injuste - Théâtre de la Renaissance
Tout le sel du spectacle repose sur cette confrontation directe et sans fard, qui au fil de la narration connaîtra d'étonnantes circonvolutions. Dans le rôle de la journaliste acharnée, Elodie Navarre adopte un ton juste dans sa quête de la vérité et surtout dans son aspiration vaine de faire reconnaître au nazi ses erreurs. Quant à Jacques Weber, il interprète finement un personnage cynique et charmeur de banquier controversé, n'exprimant jamais, dans ce duel tendu, le moindre remords. La thématique de la conscience et de l'absence de remords se niche subtilement au coeur de l'injuste et la fine mise en scène de la pièce met en exergue à travers l'âpre duo théâtral Weber/Navarre cette difficulté de mettre l'étiquette « monstre » sur des criminels fussent t'ils les plus odieux et haïssables. Par exemple à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Douglas Kelley, alors chef du service de psychiatrie d’un hôpital militaire, fut chargé d'évaluer la santé mentale des dirigeants nazis détenus à la prison de Nuremberg dans l’attente de leur procès.
Kelley espérait identifier les traits de personnalité ou les troubles mentaux qu’ils avaient en commun - définir une sorte de « personnalité nazie » qui permettrait de comprendre ces criminels. Il n'y parvint jamais. En effet, il lui fut impossible de cerner chez eux les mécanismes humains qui auraient permis la mise en œuvre d’une « industrie de la mort ». Egalement, la journaliste et philosophe allemande Hannah Arendt (1906-1975) chercha à percer le mystère nazi. Percevant l'aspect purement opportuniste et servile des brutes allemandes, elle avait développé sa célèbre théorie de « la banalité du mal » lors du procès Adolf Eichmann, montrant que les nazis dissimulaient leur férocité sous la couverture de petits fonctionnaires médiocres de la mort. (Certains considérèrent d'ailleurs à l'époque que sa thèse amenait à déresponsabiliser les dirigeants nazis de leurs crimes.)
Dans la pièce Weber dans la peau de François Genoud incarne un personnage d'autant plus clivant et sulfureux qu'il a continué après la guerre à soutenir des entreprises criminelles, comme celles du terrorisme d'extrême gauche. L'on notera d'ailleurs le climat politique de l'injuste avec ses nombreuses allusions à l'histoire du IIIe Reich et au conflit israélo-palestinien. A la fois burlesque et glacial le duo théâtral formé par Weber et Navarre est impressionnant. François Genoud, ami et défenseur de Klaus Barbie et du terroriste Carlos a réellement existé. Et Weber, sur un mode réaliste, investit à fond ce personnage hors norme à l'assurance effrontée, livrant un combat autant politique que psychologique face à cette journaliste têtue, obsédée à la fois par les démons du nazisme et par sa propre histoire tortueuse.
durée : 1 h 20
l'injuste, une pièce de Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre, Alexis Kebabs
l'injuste, une pièce de Alexandre Amiel, Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre, Alexis Kebabs
Avec Jacques Weber, Elodie Navarre
Mise en scène : Julien Sibre
Théâtre de la Renaissance
20, boulevard Saint-Martin
Paris 10e
horaires : du mardi au samedi (19 h), le dimanche à 15 h
jusqu'au 5 mai 2025
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