lundi 6 novembre 2023
Les sept vies d'Hollywood - Irons-nous encore au cinéma ?
Journaliste et essayiste [La bulle dorée de l'art contemporain (2017), La Guerre secrète des milliardaires de l'art (2019)], Jean-Gabriel Fredet dans Les sept vies d'Hollywood nous propose une enquête fouillée sur le cinéma, des origines à Netfix en passant par les majors, questionnant l'avenir même du 7e art. « Irons-nous encore demain au cinéma ? » A cette question cruciale, à l'heure où le divertissement phare du XXe siècle est concurrencé par le streaming et par d'autres industries plus lucratives (jeux vidéo, sport) ce livre apporte des réponses à la fois précises et nuancées, s'attachant à décrire les grandes mutations de l'industrie cinématographique. Dans cet ouvrage de près de 300 pages, avec talent et enthousiasme, l'auteur nous raconte cette saga passionnante, celle de la dream factory (usine à rêves) fabriquée par les mythiques studios hollywoodiens (Columbia, Universal, MGM), fruit de l'intuition géniale de quelques grands visionnaires (David Selznick, Louis B. Mayer, Irving Thalbert). Jean-Gabriel Fredet nous rappelle que dès les années 1920/30 le système mis en place fonctionne selon les codes propres aux lois du box-office : « L'Hollywood de l'âge d'or a peu de prétentions artistiques. La vocation de l'industrie est de distraire, avec comme premier objectif de gagner de l'argent. "Art gratis Artis", l'art pour l'art, la devise de la MGM qui apparaît au-dessus du lion rugissant au début de chaque film ? Une plaisanterie.» (page 31-32). Outre les multiples contraintes pesant tant sur les acteurs que sur les réalisateurs (tous interchangeables) Les sept vies d'Hollywood décortique les rouages d'une organisation cinématographique quasi industrielle où rien n'est laissé au hasard. Après une analyse fine des trente glorieuses hollywoodiennes, l'auteur nous montre comment les majors, pour conserver leurs parts de marché, ont dû s'adapter en modifiant leur stratégie marketing. Ainsi, éloquent est le combat titanesque entre les studios et la télé américaine qui s'annonce dans les années 50. Il conduira les majors à boycotter le petit écran et à se réinventer par le CinémaScope et ses dérivés (Vista Vision, Todd-AO, Smell-O-Vision). Mais ce raz de marée d'écrans toujours plus grands ne suffira pas à concurrencer une télévision bénéficiant - dès les années 50 - de la séduction de la couleur. C'est Walt Disney, qui bouleversera les règles en instaurant un partenariat juteux entre le cinéma producteur et la télé consommateur-diffuseur. L'auteur nous rappelle ce changement majeur de stratégie payante des années 60 : « En louant les films aux chaînes (droits de diffusion) puis en produisant à leur intention, Hollywood va s'enrichir au-delà de toute espérance » (page 61). Une partie importante du livre de Fredet est naturellement consacrée aux stratégies des studios pour concurrencer les géants du streaming comme Netfix, mis à mal récemment par la perte de ses abonnés et son plongeon boursier au printemps 2022. L'auteur consacre un chapitre entier aux ambitions cinématographiques de Jeff Bezos, le gourou d'Amazon, décortiquant à la fois la philosophie et les objectifs de la redoutable plate-forme : « Diffusés ou produits par Amazon Prime Video, films et séries doivent maintenir le plus longtemps possible le client branché sur la plateforme. L'objectif est de le fidéliser, l'attacher, tout en améliorant le trafic et en faisant turbuler les autres départements du groupe. A la fin des fins, Amazon Prime n'est pas conçu pour gagner de l'argent mais pour renforcer les barreaux de la cage où l'entreprise rêve d'enfermer chaque consommateur. » (page 213). Néanmoins, il ne faudrait pas croire que tous les géants de la tech s'engoufrent inconsidérément dans ce marché potentiellement juteux de films et de séries. L'ouvrage évoque par exemple le positionnent prudent d'Apple, soucieux avant tout de préserver une image sacralisée de marque identifiable par tous. Géant numérique, plateforme, studio... Les sept vies d'Hollywood esquisse en tout cas de façon détaillée cette frontière mince qui dessine ce paysage ultracompétitif de grands groupes désireux de s'accaparer le marché du film et des séries. Certains d'ailleurs s'y casseront les dents comme Quibi [lancé par Jeffrey Katzenberg, qui travaillait pour Disney], dont l'auteur commente ainsi, non sans humour, une des raisons de l'échec : « Alors que la force et l'originalité de Netfix réside dans sa capacité à stariser des inconnus et à populariser des programmes innovants, Katzenberg s'est acharné à payer à prix d'or des formules hollywoodiennes cuites et recuites (docu-dramas), présentées par la vieille garde des stars (Jennifer Lopez, Liam Hemsworth, Jason Blum). Tout faux ! » (page 137). Dans le contexte actuel où trônent au box office les sempiternelles créations de Marvel et où même les comédies et les « films du milieu » pourtant commerciaux ont du mal à trouver un public l'on peut naturellement s'interroger sur l'avenir même du cinéma, en salles ou non. [Ne parlons même pas du cinéma d'art et d'essai ! - également abordé dans le livre!], Néanmoins, des succès commerciaux récents comme Oppenheimer de Christopher Nolan ou Barbie de Greta Gerwig nous montrent que l'on ne peut jamais préjuger des goûts du public. Ainsi, Barbie, mix de blockbuster et de cinéma d'auteur tendance néoféministe a déjà rapporté plus d'un milliard de dollars. Cependant, l'on peut légitimement s'interroger sur les capacités des studios à évoluer dans un paysage cinématographique où le gros débit du streaming tourne à plein régime avec sa litanie gnangnan de suites à la sauce médiévale, sociétale, médicale ou autre. A la fin de l'ouvrage Jean-Gabriel Fredet nous pose cette question décisive : « Pourtant confrontés à l'appétit des nouveaux industriels de l'image et aux assauts des géants de la tech, les studios ont-ils encore envie d'enrichir notre imagination, de produire des films qui font oublier, des films qui font décoller, des films inspirés ? Ou, grossistes de la foire aux allusions, ne désirent-ils plus que fournir en nombre des films et séries à des mastodontes d'un autre monde, bien décidés à nous transformer en crétins digitaux ? » (page 312).
Jean-Gabriel Fredet, Les sept vies d'Hollywood - Irons-nous encore au cinéma ? broché, grand format, enquête, éditions Stock, 328 pages, 2023
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