Au Théâtre La Flèche (Paris XIe) Lorraine Résillot met en scène Les Forains de Stephan Wojtowiscz. Imprégné de poésie, c'est un spectacle incisif et drôle, mettant en exergue ceux que l'on appelle pudiquement « les laissés-pour-compte ». En attendant une hypothétique pièce pour réparer leur camion, trois forains tuent le temps dans leur caravane. Eddie compte les trains qui passent, Nono rêve de ses manèges, Jackie fait vivre cet étrange trio. Un soir d’été, un train s’arrête face à leur campement. Hélène et Olivier en descendent. La pièce se déroule dans un seul et unique lieu : le campement des forains, situé entre une voie ferrée et une décharge.
Dans une habile progression scénique, baignée par des éclairages au climat cinématographique, la mise en scène de Lorraine Résillot nous oriente entre cruauté et humour dans cette histoire improbable de rencontres. Au début du spectacle, à travers le dialogue ironique de ces cinq Iroquois, perce un certain climat de théâtre de l'absurde. Puis, en une habile progression, la pièce prend une dimension plus féroce. Les Forains nous offrent une réflexion perçante sur la précarité sociale et leurs principales victimes, les laissés-pour-compte. Nono, Jackie et Eddy nous rappellent Zezette du Père Noël en version ch’ti, les Deschiens ou encore les Groseille de Chatilliez.
Ils peuvent aussi évoquer les personnages d’Affreux, sales et méchants, le chef d’oeuvre d’Ettore Scola. Egalement, l'on songe aux anonymes personnages tragi-comiques du Sud profond des Etats-Unis, immortalisés par Erskine Caldwell dans Terre Tragique (1944) ou par John Steinbeck dans Rue de la Sardine (1947). Quant à Hélène et Olivier, ils représentent l'autre face de la société, évidemment plus rassurante. Ils symbolisent ceux qui filent droit devant, bien accrochés au manège, remplis de bonnes intentions et d’idées toutes faites. Dans leur désir de bien faire ces « bobos des villes » seront progressivement happés par une infernale succession d'évènements. Loin de simplement nous raconter une histoire de fracture sociale entre gens civilisés et marginaux rustres le spectacle Les Forains s'attache aux aspects les plus intimes et singuliers des personnages.
Poétique et grinçant, le texte de Stephan Wojtowiscz investit complètement le champ du langage. A travers la crudité de ce dernier il scrute le désir, la peur, l'inconnu, la part animale enfouie dans chacun d'entre eux. Instinctifs et rodés les cinq comédiens rentrent parfaitement dans ce théâtre à la fois réaliste et populaire, qui, sans être brechtien, parvient à proposer une réflexion alerte sur les codes sociaux et leur interférence avec nos propres mécanismes psychologiques. Plus simplement, Les Forains se profile un poème fiévreux et farcesque sur tous ceux qui, un jour, se retrouvent sur le bord de la route ou plutôt... aux abords d'une voie ferrée (!) Comme le chantait si bien un certain Gérard Manset dans Le train du soir (1981) :
Qui s'assoient sur le trottoir
Il reste le train du soir
Qui roule, qui roule dans le noir
Qui roule, qui roule dans le noir
Y'a le train qui roule dans le noir
Comme un chien qui pleure dans un couloir
Reprise
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