lundi 16 mai 2022

Caligula



Au Studio Hébertot (Paris XVIIe)  Bruno Dairou met en scène Caligula d'Albert Camus (1913-1960). Porté par un sens de la modernité et par d'excellents comédiens, ce drame historique questionne autant  la folie du pouvoir que  les excès de la liberté individuelle. Poétique et incisif, ce spectacle interroge la part la plus sombre de l'humain. Ange en quête d'absolu ? Monstre sanguinaire ? Avant la guerre, Albert Camus a conçu Caligula, ainsi que Sisyphe ou Meursault (L'Étranger), comme un héros de l'Absurde. En 1945, la pièce est reçue comme une fable sur les horreurs du nazisme. 

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

Ses versions et ses mises en scène successives, l'évolution de la sensibilité du public ont contribué à faire de Caligula une des figures les plus troublantes du théâtre de la première moitié du XXe siècle. Caligula ? Certainement, le client rêvé pour tout  bon psychiatre renommé ! Cela aurait pu être hier Mao, Staline, Hitler ; aujourd'hui,  Poutine ou Kim Jong...  Dans la pièce Caligula  la mise en scène de Bruno Dairou et d'Edouard Dossetto fait particulièrement bien ressortir  la dualité  du caractère de Caligula. 

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

A la fois drôle et cruel, tendre et cynique, manipulateur et sensible,  le personnage du jeune 'empereur  dégénéré nous apparaît comme plein de contradictions. Egalement, sur un ton  intimiste  grinçant,  cette mise en scène met en exergue l'inévitable conflit moral, qui oppose Caligula aux patriciens.   La peur, la folie, la liberté, le pouvoir et la mort sont au coeur même du texte de Camus. Nous voyons  les personnages évoluer dans ce climat trouble et anxiogène, constamment  mis sur la sellette par le jeune Caligula et  devant affronter des situations à la fois cocasses et cruelles.  

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

S'inscrivant dans un climat marqué par l'incertitude et la menace - à tout instant - de la mort, les personnages évoluent d'une façon originale sur la scène du Studio Hébertot, déplaçant constamment des cubes mobiles et apparaissant parfois dans des jeux crépusculaires de lumières. Habilement,  cette scénographie modulable s'inscrit dans la progression dramatique du spectacle. Et les déplacements incessants et grotesques des patriciens sur le plateau  nous suggèrent à travers ce nomadisme territorial à la fois  la fin  de leurs privilèges et leur mort probable. 

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

Cette façon  « chorégraphique »  des comédiens d'occuper le plateau, cet élan, presque enfantin,  qu'ils ont de porter et de s'installer sur ces cubes et surtout le macabre écho qui s'échappe de leurs percussions  contribuent grandement  à l'image de jeu tribal funeste, qui imprègne symboliquement tout le spectacle. La conception de la liberté du personnage Caligula se profile très particulière. Poussée à un degré extrême de violence,  elle se situe à l'écart  des grandes fresques théâtrales célébrant  les noces de l'ego et de la  réalisation personnelle, du Kean d'Alexandre Dumas (adapté par Sartre) au Peer Gynt d'Ibsen.

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

Pour sa pièce Caligula Camus inscrit son  personnage éponyme  dans une liberté radicale,  folle, dans tous les sens: une liberté dans laquelle celui qui gouverne Rome peut jouir comme il veut de la vie et de la mort d'autrui.  Avec  subtilité Antoine Laudet interprète  ce personnage complexe et terrifiant, montrant par un jeu spontané et poétique les différents visages de Caligula.  Edouard Dossetto ( le courageux conspirateur Cherea)  et  Josselin Girard  (l'intendant, Lepidus, un patricienforment un groupe de comédiens des plus convaincants.   Les peurs et  les petites vanités de chacun nous sont suggérées impitoyablement sur un ton glacial et ironique.

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

Davantage même que les caprices et  frasques sanguinaires de Caligula, il semble que  c'est la logique même, incompréhensible de l'empereur, qui déstabilise son entourage. Entre révolte et servilité, les patriciens proposent un jeu intéressant et nuancé.  Quant à Céline Jorrion, elle interprète avec finesse Caesonia,   la maîtresse de Caligula.  C'est un personnage clé et un peu en retrait des autres. Caesonia porte l'amour de Caligula au plus haut tout en prenant  conscience de façon détournée de son insatiable inhumanité. 

Caligula, mise en scène Bruno Dairou, Edouard Dossetto (© DR)

Dans le rôle du poète  Scipion jeune,  Pablo Chevalier propose une composition  troublante qui met l'accent sur l'attirance-répulsion entre un homme de lettres et un despote. Enfin, dans le rôle de Hélicon, l'ancien esclave devenu serviteur  de Caligula, l'on signalera  la brillante  prestation d'Antoine Robinet.  Personnage  fataliste et borné, Hélicon nous apparait comme un être aveuglé par son maître et incapable d'esprit critique envers lui, ce qui le rend encore plus inquiétant.   Comme tout bon dictateur Caligula connaîtra dans la pièce un destin tragique. 

Albert Camus

Et fidèle au texte de Camus, le spectacle met l'accent sur cette pulsion de mort inhérente à l'empereur qui finit d'être  concrétisée dans le désir d'être tué par son entourage.    Pour Camus, loin d’être une pièce philosophique, « Caligula est l’histoire d'un suicide supérieur », celui d’un être avide d’impossible qui pousse peu à peu son entourage (bien patient pourtant) à le tuer. Au final  l'on recommandera ce spectacle impressionnant par son ton percutant et  sa forme théâtrale crépusculaire ! 
Il y a plus de 70 ans  avec Caligula l'auteur de L'Etranger et de La Chute posait déjà des questions existentielles majeures,  faisant alterner avec brio les points de vue sur la nécessité d'accorder ou pas  des limitations à la liberté individuelle (celle des tyrans notamment). L'on  constate aujourd'hui avec les évènements d'Ukraine comme ce thème philosophique majeur se trouve d'une actualité brûlante !

durée : 1 h 30

Reprise
Caligula, de Albert Camus
Mise en scène par Bruno Dairou et Edouard Dossetto
Avec Pablo Chevalier, Alex Dey, Edouard Dossetto, Josselin Girard, Céline Jorrion, Antoine Laudet et Antoine Robinet

Studio Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles
Paris 17e
horaires : jeudi (19 h), vendredi (19 h), samedi (19 h), dimanche (17 h)

jusqu'au 29 mai 2022
















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