Blog de Phaco ?
C'est un blog culturel généraliste qui paraît tous les lundis depuis 2011. Vous y trouverez des chroniques dans les domaines suivants : Livres, Théâtre, Cinéma, Musique, Arts, Architecture, Patrimoine/Tourisme.
Excellente lecture !
(Thierry de Fages)
Avec Une valse dans les alléesThomas Stuber [Teenage Angst (2008), Herbert (2015)] signe un drame intimiste à la fois tendre et décalé sur fond de supermarché labyrinthique et de chariots élévateurs tremblants.
Adaptée d’une nouvelle de Clemens Meyer « In the Aisles » et coécrit par Stuber/Meyer l‘histoire d’ Une valse dans les allées puise sa saveur dans la singularité même de la simplicité de son scénario en apparence banal : un employé taiseux (Christian) est embauché dans un supermarché. Mis à l’essai, il devient peu à peu membre de la grande famille du magasin. Il se lie d’amitié avec son chef, un autre taiseux (Bruno) et tombe amoureux d’une employée du rayon confiserie (Marion).
Une valse dans les allées
Visiblement Stuber a eu un sacré coup de foudre pour cette courte nouvelle de 25 pages. Avec ses personnages populaires, anonymes et l’on ne peut plus anticharismatiques Stuber se rapproche curieusement de ceux à la fois simplissimes et contrastés du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki. Subtilement, le ton général de son long métrage se profile lent, captant patiemment les anodines pérégrinations professionnelles de Christian, déambulant en permanence sur son chariot élévateur trône entre les rayons du supermarché, ancré dans sa royale solitude et possédé par un amour platonique. Drame amoureux, conte réaliste burlesque, fable sociologique sur l’univers professionnel, comédie ironique sur la solitude en milieu urbain…
Une valse dans les allées
On pourra aisément coller l’étiquette que l’on veut au film de Stuber, qui se démarque avant tout par sa description méticuleuse d’un lieu emblématique - voire fantasmatique (ici le supermarché) - et par une tendresse mélancolique qui émane naturellement des trois personnages principaux : Christian, Bruno et Marion. Il y a un fort climat naturaliste qui imprègne Une valse dans les allées : le décor froid du supermarché près de l’autoroute, les rencontres autour de la machine à café, le gérant de nuit qui serre la main à ses employés à la fin du service, la valse incessante des chariots élévateurs dans les allées, lieu de rencontre entre Christian et Marion et carrefour incontournable entre celui-ci et les autres employés : Bruno, Rudi, Irina, Klaus. Pourtant le film n’est jamais ennuyeux.
Une valse dans les allées
Le climat du film se profile même délicatement burlesque. Sans franchement tomber dans un univers à la Tati, l’on peut deviner que derrière les gestes machinaux des employés et à travers des musiques surannées et kitch Stuber jette un regard grinçant sur le mode de fonctionnement des grandes surfaces allemandes. Par petites touches, au fil de l’histoire, Stuber nous oriente vers plus de gravité, nous suggérant le lourd passé judiciaire de Christian, la fêlure de Bruno et les drames conjugaux de Marion. Subtilement, comme dans un thriller psychologique - notamment dans la scène un peu hitchcockienne dans laquelle Christian s’introduit par effraction dans la maison de Marion -, le cinéaste nous laisse deviner que tout pourrait très vite basculer dans le fait-divers.
Une valse dans les allées
Mais ingénieusement Une valse dans les allées contourne la dramatisation facile, s’inscrivant comme un film fouineur, un peu métaphysique, remarquable par sa puissance de suggestion et par la performance des acteurs principaux (Franz Rogowski, Sandra Hüller et Peter Kurth), tous trois, d'ailleurs, issus de la scène théâtrale allemande. A la fois lieu sinistre et de rigolade - [l’amusante scène de fête de Noêl des employés !] - le décor naturel du supermarché offre une belle allégorie vivante. Sur un mode réaliste et humoristiquement « chorégraphique » Stuber en explore toutes les virtualités labyrinthiques, offrant aux retrouvailles de Marion et Bruno un décor à la fois onirique et urbain. Inspiré sans doute en partie par la solitude de ceux que l’on appelle parfois avec un certain mépris « les petites gens », Stub nous propose là un étonnant film à la fois tendre, burlesque et social.
durée : 2 h 05
Une valse dans les allées (In the Aisles), un film de Thomas Stuber, drame, Allemagne - VOSTFR - 2018
Avec Franz Rogowski, (Christian) Sandra Müller (Marion), Peter Kurth (Bruno)
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