Dans un récit vif et touchant intitulé Sois la bienvenue Alice Casado évoque la brisure de deux vies dans le cadre magique de la Provence et dans le sillon du poète René Char (1907-1988).
Tout d'abord il y a dans ce récit familial une force manifeste du détail, aussi bien dans l'esquisse psychologique des personnages que dans la description minutieuse de faits anciens apparemment anodins. En réunissant archives, témoignages et correspondances Alice Casado nous brosse un portrait parfois terrible d'une certaine France rurale du début du XXe siècle avec ses travailleuses saisonnières au rabais et ses Maisons de relèvement destinées à mater la révolte des filles. Il ya d'abord Malou, l'arrière-grand-mère, la bonne fille - à qui visiblement rien ne réussit - promenant sa vie entre enfance meurtrie, travaux ingrats et amour sans lendemain. Dans les années 30, la brève aventure qui la lie au poète René Char, à l'époque peu connu, ne la fera pas pour autant rentrer de plein pied dans cet univers bourgeois et mondain, dominé par une mère acariâtre et méprisante. Cet 'univers provincial et étriqué, décrit par l'auteure, nous rappelle parfois le Journal d'une femme de chambre d'Octave Mirbeau ou même certaines pages aigres et misérabilistes de François Mauriac, Emile Zola ou Hervé Bazin. Subtilement, dans Sois la bienvenue, Alice Casado exhume la force évocatrice de documents administratifs choisis comme par exemple ceux des Archives départementales de Vaucluse. Elle nous fait partager son sentiment de révolte et de tristesse face à ces vies abimées. Dans cette tentative de reconstitution de puzzle familial son aïeule Marcelle est l'autre personnage principal. L'on devine aisément le rapport fusionnel entre l'auteure et sa grand-mère. Quoique marquée par la solitude et les aléas de la vie, cette dernière se profile un personnage plus complexe que Malou. Avec pudeur et un sens psychologique affiné Alice Casado nous suggère constamment la fêlure secrète de Marcelle, celle de ne jamais avoir été reconnue véritablement par son père, l'illustre poète René Char. C'est le sentiment même d'illégitimité qu'il installe chez les êtres, caractéristique des enfants non reconnus ou abandonnés, qui donne à Sois la bienvenue une puissance d'écriture à la fois littéraire et documentaire. Quand à René Char, troisième personnage central de ce récit, et malgré les sentiments contradictoires que l'on devine chez l'auteure envers lui, Alice Casado nous propose une intéressante relecture de ce personnage complexe, auréolé par son rôle dans la Résistance et ses succès littéraires d'après guerre, prisonnier sans doute quelque part de son statut de poète de premier plan. A partir d'une description fine mais sans pathos d'un environnement familial très particulier Alice Casado nous parle à la fois de l'injustice des relations amoureuses et de la complexité des relations entre fille et père mais aussi du poids de la célébrité dans les rapports humains.Alice Casado, Sois la bienvenue, éditions Stock, collection « La Bleue », 220 pages, 2021
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