lundi 27 juillet 2020

Madre




Deux ans après El Reino le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen sort Madre, drame mystérieux et intimiste, au parfum de thriller, sur fond de quête maternelle et d'amour blessé.


Inspiré d’un  court métrage de Sorogoyen Madre est son cinquième film. Le cinéma de Rodrigo Sorogoyen privilégie les histoires intimistes avec des personnages ambivalents. Après Stockholm (2013) et ses deux thrillers Que Dios nos pardone (2016) et El Reino (2018) le cinéaste retrouve Isabel Pena sur Madre dans son travail de coécriture. L’histoire  nous plonge au cœur d’une fêlure secrète, celle d’une femme (Elena) dévastée par la perte de son fils de 6 ans.

Madre

Fruit d’un habile montage, le début du film nous montre la mère ravagée cherchant à joindre par téléphone son enfant perdu sur une plage des Landes. Puis après cette courte séquence au suspense métaphysique le film prend rapidement un rythme nonchalant et réaliste. L’on retrouve le personnage d’Elena 10 ans après. Elle a quitté l’Espagne et vit dans le le sud de la France. La trentenaire a un petit ami (Joseba) et travaille dans un restaurant de mer. Mais la tranquillité de l’été va être chamboulée par la rencontre d’un adolescent (Jean), qui lui rappelle son fils disparu. Cette thématique autour  du puissant désir de retrouvailles et de l'identité s'inscrivait déjà dans  La dernière vie de Simon, film récent de Léo Karmann.

Madre

Une soeur était troublée par l'identité d'un adolescent ressemblant à son frère disparu.  Comme dans ce dernier  long métrage, qui se déroulait aussi dans un charmant cadre balnéaire, Madre nous suggère la permanence des êtres disparus dans  notre vie quotidienne. Dans Madre Jean remplit cette fonction de substitution (bien connue chez les psys), allant jusqu'à occuper une place obsessionnelle dans l’esprit et le coeur d’Elena. Pour évoquer ce drame autour de la perte (celle de l’enfant) et de la recherche désespérée de cette mère de le remplacer Sorogoyen a choisi d’inscrire son film dans le cadre enchanteur et riant d’un coin balnéaire, noyé entre sable, soleil et pins. (Il filme sur un mode particulièrement raffiné la lumière du golfe de Gascogne et les reflets bleutés du ciel et de la mer.)

Madre

Evitant soigneusement le piège du pathos ou même la tentation moralisatrice du portrait psychologique le réalisateur nous montre sur un mode naturaliste  distancié - et à travers le choix d’une image léchée mais sans maniérisme - les multiples jeux de chat et souris qui président aux  rencontres entre Jean et Elena. Davantage : il nous suggère toute la complexité de cette relation ainsi que celle du personnage principal féminin.  Sorogoyen  semble refuser l'idée de la présenter sous l’angle de la folie ou même d’une quelconque névrose. Le titre même de son long-métrage (madre : mère) sert de révélateur.

Madre

Au fond ce qui semble l'intéresser c’est de marquer, davantage encore que  la puissance de l’élan maternel chez Elena, le ressenti  fondamentalement hostile que ce dernier entraîne chez les autres. C’est un beau rôle pour Marta Nieto, que l’on avait déjà remarquée dans The Chase (2013) de Daniel Calparsoro. L'actrice évolue naturellement dans ce personnage de femme hésitante, blessée par un amour maternel consumé et dévorée progressivement par une attirance trouble pour Jean.  Quant à Jules Porier il  adopte un ton juste et naturel dans son personnage d’ado jovial et tourmenté, pris en tenailles entre le regard censeur d'une  famille aimante  et l'amour étrange et informulé que lui porte la trentenaire.

Madre

Toujours sur ce même mode réaliste suggestif Madre décrit subtilement les effets dévastateurs que cette relation platonique entraîne, de la déstabilisation de la famille de Jean à la mise en péril du couple formé par Elena et Joseba. Au final le réalisateur espagnol avec Madre  nous propose  un film délicat et atmosphérique ainsi qu'une réflexion  piquante et inédite sur la place de l'amour  maternel dans nos sociétés.

durée : 2 h 10

Madre, un film de Rodrigo Sorogoyen
Avec Marta Nieto (Elena), Jules Porier (Jean), Alex Brendemühl (Joseba), Anne Consigny (Léa), Frédéric Pierrot (Gregory), Guillaume Arnault (Benoit)










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire