lundi 6 janvier 2020

Excessives ! Destins de femmes incroyables au XIXe siècle


Dans l’ouvrage Excessives ! Destins de femmes incroyables au XIXe siècle Louise Ebel met à l'honneur de fortes personnalités de la  Belle Epoque aujourd’hui oubliées comme Madeleine Deslandes,  Henriette Maillat, Berthe de Courrière ou Gisèle d'Estoc.


A la fois érudit, accessible et truffé  d’anecdotes le livre de Louise Ebel  explore  l’histoire méconnue de six femmes exceptionnelles, qui, au XIXe siècle,  furent aussi célèbres que Sarah Bernhardt ou Cléo de Mérode. Toutes ces personnalités - comédiennes, artistes, écrivaines, modèles ou demi-mondaines -  inspirèrent en leur temps les plus grands écrivains, dont Zola, Proust, Huysmans, Bloy, Barbey d’Aurevilly et Maupassant.

Casas, Le Verre d'Absinthe, 1892 @ Museum Montserrat

Bon nombre de leurs oeuvres furent même des portraits à peine déguisés d’elles-mêmes, ainsi dans Là-bas (1891)  le bizarre et tourmenté Huysmans poussa le mimétisme  romanesque à retranscrire  non seulement les lettres de Henriette Maillat mais alla jusqu’à calquer  son récit sur leur liaison à travers le personnage double de Hyacinthe  de Chantelouve. Dans Excessives !, qui décrit  sur un mode alerte et intimiste l’univers littéraire, mondain et amoureux de la fin du XIXe siècle, on apprend  ainsi  de façon détaillée plein de choses sur les mentalités des hautes classes de l’époque. L'ouvrage dépasse largement le cadre restreint des livres simplement ‘biographie/anecdotes’. Et l’auteure, que l’on devine  féministe et complètement fascinée par ces égéries, y propose d’audacieuses et d’intéressantes interprétations psychologiques.

Albert-Joseph Perrot, La Femme Chauve-Souris, vers 1890 © Wikicommons

Reconstituant l’énigmatique puzzle psychologique de  ces  femmes coincées entre grandeur et décadence, elle  s’est déplacée notamment, pour évoquer Wilhelmina Schrader - qui fut modèle, anarchiste et reine du Paris bohème de la Belle Epoque -, à Villejuif   aux archives de l’Hôpital Paul Guiraud consulter son impressionnante correspondance avec le docteur Briand (sorte de docteur Gachet bis).  Tragiquement,  Wilhelmina Schrader termina sa vie dans des asiles. Comme le titre du livre le rappelle toutes ces gloires un peu surannées aujourd'hui avaient comme dénominateur commun  l’excès.

© Gustave Caillebotte, Intérieur

Est-il besoin de rappeler que la Belle Epoque, du moins dans ces milieux très huppés, fut marquée par une surenchère certaine : argent, fêtes, luxe, hédonisme, hypercréativité,  ésotérisme rampant, multitude d'ordres mystiques… C’est dans ce contexte bien particulier dans lequel ces femmes évoluèrent  dans  un environnement à la fois brillant, riche et cultivé, peuplé d'artistes, de banquiers, d'éditeurs, de politiciens, d'écrivains et de marchands d'art mais aussi fortement peuplé d’êtres névrosés et caractériels, voire borderline. Intuitive et méthodique l'auteure  décrit à travers ses six héroïnes ces drôles de noces entre demi-monde et classes dirigeantes. Ainsi, l’étonnant parcours de Geneviève Lantelme vaut le détour. Comédienne fantasque et capricieuse, elle partagea sa vie  entre un époux sulfureux de la presse de l’époque (Alfred Edwards) et de multiples amants.

John Edward Collier, La Belle au Bois Dormant, 1921 © Wikicommons

Sa mort étrange par noyade et son enterrement très médiatique au Père Lachaise fut même l'un des évènements mondains majeurs de l’année 1911. Autre forte personnalité, Henriette Maillat ! LouiseEbel la qualifie de « grandiose épistolière qui fut injustement taxée d’Emma Bovary de la fin du siècle ». Elle fut notamment l’épouse de l’écrivain illuminé Joséphin Péladan - fondateur de l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix - et correspondit passionnément avec des auteurs comme Huysmans et Barbey d’Aurevilly.

Félicien Rops, Parodie humaine, entre 1878 et 1881 © Wikicommons


On signalera aussi la méconnue Berthe de Courrière, autre femme de lettres à la réputation sulfureuse, décrite par ses biographes comme nymphomane et satanique. Autre écrivaine, Madeleine Deslandes porta haut le préraphaélisme en France. En 1893 dans une lettre, elle décrivait  ainsi (1), ravie, sa future séance de pose avec Edward Burne-Jones,  pape incontesté du préraphaélisme anglais   : « C'est un coup de foudre, son enthousiasme va même jusqu'à vouloir faire un portrait de moi - ce qui est paraît-il une chose dont je devrais être fière, car il a horreur de faire des portraits ».

Louise Ebel, Excessives ! Destins de femmes incroyables au XIXe siècle, préface de Mireille Bottin-Orsini, éditions Favre, 254 pages, 2019

(1) Lettre à Maurice Barrès, 1893, citée par Philippe Saunier, Edward Burne-Jones et la France :         « Madeleine Descendes, une préraphaélite oubliée » , op.cit.

* photos tirées du livre Excessives ! Destins de femmes incroyables au XIXe siècle


Sir Edward Burne-Jones, Portrait of Madeleine Deslandes, 1896  © Wikicommons







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