Par sa thématique des fait divers Denali rappelle un peu la série True Détective dans laquelle méticuleusement des policiers au cours d'enquêtes fiévreuses tentent de dénicher les secrets de personnes suspectées. La ténébreuse histoire de Denali se profile sous la forme théâtrale d'un long interrogatoire entrecoupé de flashbacks. A la suite de la découverte dans la rivière Eklutna en Alaska du corps d'une adolescente (Cynthia), retrouvée abattue d’une balle dans la nuque, deux détectives - Jessica Hais et Lenny Torres - enquêtent sur une bande d'adolescents, et particulièrement sur deux d'entre eux : Kayden (16 ans) et Denali (18 ans), amis de la victime et les derniers à l’avoir vue vivante.
Insolite, la pièce convie le spectateur à un véritable jeu de pistes. Dans une lancinante et désordonnée progression narrative les diverses étapes et causes du meurtre nous sont présentées sur un mode à la fois suggestif et mystérieux. Astucieusement, Denali dépasse le cadre étroit de l'étude sociale même si la sombre pièce nous oriente régulièrement vers l'environnement familial, scolaire et affectif de ces milleniums paumés, autant victimes que coupables. Véritable thriller psychologique, le spectacle nous plonge en 3 étapes (avant, pendant et après le meurtre) dans la banalité monstrueuse du quotidien de ces adolescents cherchant à se construire une identité numérique, au détriment du réel. En effet ces jeunes gens n'ont qu'une obsession : être vus, reconnus, riches et célèbres. A l’époque des TikTok et autres SnapChat, le texte brutal et touchant de Nicolas Le Bricquir semble inviter sans didactisme à une réflexion d'ensemble sur l'emprise des écrans et des réseaux sociaux sur des jeunes en terrain fragile.
Rythmée et immersive, la mise en scène semble mettre en exergue le désarroi des deux enquêteurs face aux réponses naïves et désinvoltes de leurs interlocuteurs ainsi que le climat de folie douce, entre illusion et réalité, dans lequel baignent ces ados interprétés avec réalisme par des comédiens instinctifs. Personnages d'autant plus déstabilisants qu'ils nous sont représentés amicaux et dépourvus d’empathie, à la fois disponibles envers l 'autre et disponibles pour le tuer par simple désir de célébrité ou de reconnaissance. Quant à la scénographie de Juliette Desproges, elle plonge le spectateur dans un univers troublant et cinématographique en osmose avec le texte. De bizarres effets sonores, des jeux de lumières passant du noir ténébreux au rouge vif, des échanges électroniques en surimpression en avant scène entre les principaux protagonistes de l'histoire..., tout cela contribue au puissant climat sensoriel et visuel du spectacle, qui nous laisse deviner derrière l'apparente « coolitude » de ses personnages la sourde révolte et un fatalisme rampant.
De façon plus générale, la pièce Denali s'inscrit dans une réflexion sur la place des adolescents dans le monde et particulièrement sur leur inadéquation avec ce dernier. Dans Explosif à travers le personnage de Denis, élève complexé et imprévisible, Elise Wilk décortiquait le processus même de désintégration sociale, au coeur même de l'univers scolaire. Dans Denali, au contraire, ce qui interpelle c'est l'aspect imprévisible du drame. A partir du mystère que constitue l'acte de tuer, comme dans un jeu vidéo, Nicolas Le Bricquir a créé une pièce comme un documentaire ou une série Netflix. Il l'a peuplée d'émotion et de symboles forts. Une bien belle réussite théâtrale !
Denali, texte et mise en scène de Nicolas Le Bricquir
Avec Rose Noël, Sarah Cavalli, Caroline Fouilhoux, Marine Barbarit, Romain Bouillaguet, Pierre de Barncion, Tom Boutry, Léa Millet
Théâtre Juliette Récamier
3, rue Juliette Récamier
Paris 7e
horaires : du mercredi au dimanche à 19 h
jusqu'au 19 octobre 2025
Explosif d'Elise Wilk
Oleanna, de David Mamet
Contagion, de François Bégaudeau
Maladie de la jeunesse, de Ferdinand Bruckner
Le Garçon du dernier rang, de Juan Mayorga
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