lundi 16 septembre 2019

Danser à la Lughnasa


Au Théâtre 13, dans un spectacle rythmé et poétique, Gaëlle Bourgeois met en scène Danser à la Lughnasa (1990), l'insolite chronique familiale irlandaise  de Brian Friel (1929-2015).


Souvent considéré comme le « Tchekhov irlandais », Brian Friel affectionne particulièrement les êtres en marge, peuplant de leur incertaine silhouette ses textes délicats teintés d'humour et d'une anxiété diffuse. Tous ces  anonymes sont au coeur de son grand théâtre intimiste, cultivant par ailleurs une nostalgie pour l'Irlande profonde et ses traditions. Parfois enveloppée d’un halo de fantastique, l’écriture théâtrale de Friel surprend autant par son ton réaliste un peu goguenard, son réel anticonformisme que par un mysticisme diffus. D'emblée  Danser à la Lughnasa  nous entraîne dans une maison isolée dans laquelle vivent cinq soeurs solitaires et excentriques. Elle est située au coeur de cette Irlande profonde, plus précisément dans le comté de Donegal, dans la province d'Ulster.  L'histoire se déroule au cour de l'été  1936 pendant les fêtes de la Lughnasa.

© Caroline Stefanucci Danser à la Lughnasa - Théâtre 13

La pièce s'articule autour  d'un intéressant système narratif. Les souvenirs  d'un enfant (Michael) servent de point de départ à une description méticuleuse et intimiste de sa famille. Cocasse et expressive  la mise en scène explore le quotidien de cette communauté constituée du père, de la mère, des  tantes ainsi que d'un oncle dépressif (Jack), revenu d'Ouganda après avoir passé 25 ans à servir dans une léproserie.    Toute l'intensité du  texte de Friel repose  sur une fine description de cette microsociété rurale, résistant tant bien que mal  aux contraintes de la modernité. Mais si entre les  conversations anodines des soeurs Mundy et leurs  danses frénétiques - sorte d'orgasme symbolique ritualisé rendu nécessaire par la dureté du contexte économique - l'on   perce une certaine amertume et de puissantes interrogations sociales   Friel n'adopte jamais un ton moralisateur.  La qualité de jeu et le remarquable travail choral des 8 comédiens donne à l'ensemble du spectacle une forte coloration d'authenticité jamais démentie.

© Caroline Stefanucci Danser à la Lughnasa - Théâtre 13

C'est probablement dans la fidélité à ses racines,  dans ce goût de l'absolu et de la recherche sans chichis de l'émotion pure que le théâtre de Friel peut s'analyser. (Par ce cheminement théâtral oscillant entre gaieté triste et mélancolie joyeuse  l'auteur irlandais rappelle même parfois de grands auteurs russes du XIXe siècle comme Gogol ou Tchekhov). En tout cas une oeuvre limpide, puissante qui semble s'inscrire dans le double mouvement de l'art et de l'histoire, comme semble le suggérer un spécialiste de l'auteur :   L’oeuvre de Brian Friel s’inscrit dans la veine d’une tradition dramatique qui a émergé au cours de la « Renaissance celtique » artistique à la fin du XIXe siècle. Artisan d’un « théâtre rituel », il explore la question de l’identité irlandaise prise dans le flux de l’histoire, par l’entremise d’une dramaturgie sans cesse renouvelée. Comme  pour les saltimbanques idéalistes de Guérisseur (1980), écrit dix ans juste avant  Danser à la Lughnasa,  l'on retrouve chez Friel, à travers ce poétique et piquant tableau  de soeurs et d'hommes déracinés, le même sens aigu de l'observation et de la permanence ainsi qu'une profonde tendresse  pour les êtres en rupture avec leur environnement social.

durée : 1 h 50

Danser à la Lughnasa
Texte : Brian Friel
Mise en scène : Gaëlle Bourgeois
Compagnie Qui Porte Quoi ?

Avec Nicolas Bresteau (Gerry Evans), Emilie Chesnais, en alternance avec Caroline Stefanucci (Maggie Mundy), Bruno Forget (Jack Mundy), Pauline Gardel (Christina Mundy), Vincent Marguet (Michael Mundy), Céline Perra (Kate Mundy), Jennifer Rihouey (Agnès Mundy) et Mathilde Roerich (Rose Mundy)

Théâtre 13 / Jardin
103A boulevard Auguste Blanqui
Paris 13e
horaires :  du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h

jusqu'au 13 octobre 2019

A signaler : Rencontre avec l'équipe artistique dimanche 29 septembre 2019 après la représentation (entrée libre et gratuite)

© Caroline Stefanucci Danser à la Lughnasa - Théâtre 13







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