lundi 27 mai 2019

Rocketman




Cette semaine sort en France Rocketman de Dexter Fletcher [Eddie the Eagle (2016), Bohemian Rhapsodie (2018)], le biopic très attendu sur Elton John.


Entre comédie musicale pailletée et drame intimiste sur fond de célébrité destroy et d’enfance refoulée le film surprend par sa cohésion et le réalisme de ses décors. Après le triomphe planétaire du controversé Bohemian Rhapsody sur Freddy Mercury Dexter Fletcher sort - juste un an après - ce long métrage de 2 heures consacré à l’énigmatique pop star mondiale des années 70 et 80   aux lunettes colorées. Le réalisateur a eu l’ambition de filmer la vie « officielle » d’Elton John sur le  libre mode d’une comédie musicale.

Rocketman

C’est aussi une biographie autorisée. Le chanteur, lui même, a produit le film et depuis sa sortie multiplie les éloges sur Taron Egerton, interprétant le personnage principal. Rocketman nous convie  à un voyage musical, de la fin des sixties au début des eighties.  Egerton se révèle très convaincant dans ses réinterprétations des titres d’Elton John. Les acteurs chantent eux-mêmes des versions réorchestrées des tubes eltoniens dans l’atmosphère kitch et glamour des seventies, friande en costumes de scène flamboyants et en décors psychédéliques tape-à-l’œil.   Rocketman surfe vers la grande tradition de la comédie musicale américaine, quelque part entre Broadway et West Side Story.

Rocketman


Le long métrage défile comme une  épique succession de tableaux ayant pour cadre aussi bien l’environnement familial d’Elton John et le way of life de la classe moyenne britannique que les frasques rock’n’roll circus des années pop rock glam.  On y entend naturellement les titres phares du répertoire d'Elton John comme Your Song, Crocodile Rock, Sorry seems to be the hardest word, Dont go Breaking my heart, Goodbye Yellow Brick Road....Mention spéciale à  Saturday Night’s Alright For Fighting pour sa chorégraphie survitaminée sur fond de jeunesse turbulente et oisive.  Le choix artistique des morceaux ainsi que leur subtile progression  dans le film  donne un ton fort à l'ensemble.


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On signalera aussi la qualité des décors et de l’image en général, qui plonge le spectateur aussi bien dans la torpeur un peu provinciale de l’Angleterre des années 60 que dans le tumultueux malstrom des concerts psychédéliques et des fêtes mondano-païennes de l'univers rock. La bohème musicale gentiment timbrée y fricote avec le show- biz malin et racaille des seventies. La vie d’Elton John nous est contée sur un mode narratif certes épique mais pas maniéré. Le fil implicite  est le récit de la métamorphose du jeune pianiste prodige timide (Reginald Dwight) en icône de la pop culture mondiale. L'histoire nous est d’ailleurs racontée sur un mode plus pédagogue que voyeur.

Rocketman

Dans son personnage et dans la description de son cheminement d’addictions diverses (drogue, alcool, sexe)  Ergeton  évolue constamment dans un univers  de relations toxiques, professionnelles ou amicales. En outre, la  relation conflictuelle d'Elton John avec sa famille, avant, pendant et après sa célébrité  est aussi finement suggérée.  L'acteur interprète un Elton John très crédible.  L’homosexualité est un des thèmes centraux du film, que ce soit dans l’histoire  sous la forme de la confrontation violente entre le chanteur et son manager américain John Reid ou sous la forme apaisée de la fraternité artistique avec son parolier inspiré Bernie Taupin.

Rocketman

Sans véritable chronologie, le film peut paraître un peu patchwork mais convainc paradoxalement par une certaine simplicité d’approche dans l’approche de thèmes ou démons propres au chanteur (l’enfance, l’homosexualité, la célébrité, la boulimie sexuelle,  les relations toxiques). Dès le début du film s’affiche d'ailleurs tacitement ce parti-pris cinématographique de longue confession.   Dans une réunion d’alcooliques anonymes Egerton raconte sa vie.  Au-delà de l’impression forcément folklorique de rock'n'roll circus que dégage le film sur fond de fêtes musico-païennes,  le réalisateur nous laisse libre de juger ou pas son personnage, de donner ou non une étiquette à ce monstre à deux têtes.

Rocketman

Plus on avance dans le film plus on comprend que le surdoué auteur compositeur timide et introverti  et la star incontrôlable et  extravagante ne font qu'un, même si à la fin le premier est obligé de tuer symboliquement le second pour se transformer en personnage définitivement consensuel, marié et honorable père de famille.  L'amusante et optimiste happy end du film est particulièrement révélatrice de l'image qu'Elton John à 72 ans veut transmettre au monde.   (Dans une intéressante biographie et sans recourir à une psychanalyse de bazar Bertrand Meyer-Stabley (*) apportait déjà en 2007 un élément de réponse à cette schizo-attitude : « Ce qui frappe dans ses années d’enfance et d’adolescence, c’est la solitude d’Elton. Au lycée, comme au conservatoire, il a très peu d’amis. Sitôt rentré de l’école, il travaille son piano. » [ ….] « Pendant l’adolescence, se réfugier dans la musique et les sucreries [il était boulimique] constitue sa protection. »  [page 15].  Au final Rocketman est un film plutôt réussi, à la fois puissant document musical, méticuleuse description d'un certain milieu  show-biz rock et témoignage aigu sur une personnalité artistique complexe et passionnante.


durée : 2 h

Rocket man, un film de Dexter Fletcher, drame et comédie musicale, 2019
Avec Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden, Dallas Howard, Gemma Jones, Steven Mackintosh, Harriet Walter

* Bertrand Meyer-Stabley, Sir Elton John, Payot, 2007
http://lemague.net/dyn/spip.php?article3120











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