lundi 12 novembre 2018

Premières solitudes




A la fois document humain et sociologique, Premières solitudes « fait parler » des lycéens d’aujourd’hui. A travers chacune de ces histoires, la réalisatrice Claire Simon  [Récréations (1992), Les Bureaux de Dieu (2008)] évoque l’isolement et les attentes  d‘adolescents de la banlieue parisienne.


Premières solitudes n’est pas franchement un film conventionnel. Né au départ d’une rencontre avec la cinéaste et dix élèves de la classe de première - spécialité Cinéma - du lycée Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine, cette rencontre professorale filmée en vue d’un court métrage s’est muée progressivement en un projet plus ambitieux : faire parler ces adolescents de 16 à 18 ans de leur vie et et plus particulièrement de leur solitude sous la forme de dialogues entre eux.

Premières solitudes
© 2018 – SOPHIE DULAC PRODUCTIONS – CARTHAGE FILMS 

S’écartant à la fois du piège du nombrilisme et de la dénonciation sociale, le résultat cinématographique se révèle fort intéressant, prouvant que l’on peut proposer au public des documentaires sensibles et humains sur la banlieue et leurs habitants (ici des lycéens) tout en s’écartant  des clichés véhiculés généralement par les médias et leurs serviteurs larbins (les bobos parisiens) reconvertis vulgairement en psychosociologues urbains. Ici il ne sera pas question d'intégrisme religieux, de trafic de drogues,  de voitures brûlées dans les cités ou de flics dépressifs. Simon donne la parole à des Français pure souche ou d’origine variée (Portugal, Cambodge, Nigéria) dans un documentaire humaniste mais sans sensiblerie. Interviewés - en quelque sorte - par leurs camarades de lycée tous ces jeunes paraissent fort lucides sur eux-mêmes, proposant même une réflexion assez poussée sur leur mal de vivre, décortiquant avec émotion, parfois avec humour, leur parcours de vie.

Premières solitudes
© 2018 – SOPHIE DULAC PRODUCTIONS – CARTHAGE FILMS

Curieusement, ce n’est ni l’amour, ni l’amitié, ni le rascisme, ni la violence de la société ni même le travail -  et ses incertitudes professionnelles - qui semblent au cœur de leurs préoccupations. Simplement avec leurs mots à eux  ils nous parlent de leurs parents et du lien spécial qui les unit à eux. Souvent émouvants ces témoignages nous rappellent,  outre la difficulté proverbiale à communiquer au sein des familles  l’essor douloureux et fulgurant des familles recomposées avec leur lot de solitudes larvées et de souffrances cachées. D’une certaine façon,  à travers ce documentaire artisanalement social et aventureux, cette réalisatrice restitue cette parole confisquée des ados avec leurs géniteurs.

Premières solitudes
© 2018 – SOPHIE DULAC PRODUCTIONS – CARTHAGE FILMS

Ainsi, l'on signalera l'émouvant témoignage d’Hugo sur son père irrémédiablement taiseux ou celui de Catia, évoquant  sa famille nigériane qu’elle rêve de retrouver un jour. Subtilement, la caméra de Simon s’échappe parfois du lycée d’Ivry, se faufilant dans certains lieux emblématiques  des ados. Ainsi, elle filme Manon, revenant en pèlerinage sur l’Ile Saint-Louis où sa mère avait un magasin ou encore Mélodie, entraînant son amie Judith dans le café parisien de son père,  lui-même désireux de quitter la France et de finir sa vie au Vietnam.  Délicatement  restituées par la parole toutes ces tranches de vies finissent par constituer un témoignage vibrant tant sur l’adolescence que sur ses peurs et ses attentes. En tout cas, Premières solitudes  se profile un document cinématographique fort, s'écartant du  misérabilisme ambiant et nous laissant plutôt sur une note d’optimisme !

durée : 1 h 40

Premières solitudes, un film de Claire Simon, France, 2018
Avec Anaïs, Catia, Clément, Elia, Lisa, Judith, Manon, Mélodie, Tessa





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