lundi 22 avril 2024

Le Mandat



D’emblée  Le Mandat  intrigue. Oeuvre majeure du dramaturge soviétique Nikolaï Erdman (1900-1970), datant de 1924, cette comédie connut immédiatement un fort succès en URSS. Puis, à cause de son impertinence, elle fut interdite à la fin des années 20. Au Théâtre de la Tempête Patrick Pineau met en scène ce monument de la satire politique,  mettant en exergue toute sa drôlerie hystérique.

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 

Une ex-commerçante ruinée par la révolution d’Octobre, un ancien tsariste cherchant à marier son rejeton, un jeune homme naïf, contraint à s’inscrire au Parti, une mondaine évaporée vivant dans le culte de la princesse Anastasia,  un irascible voisin à l’éternelle casserole vissée sur la tête, tels sont les quelques personnages cocasses de l’univers théâtral d’Erdman. Avec  Le Mandat, l'on plonge dans une époque flottante – les années postrévolutionnaires – où l’argent, les combines et les relations servent de religion. 

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 

L’Histoire a déjà tué symboliquement le père (Nicolas II, le tsar de toutes les Russies) quand la pièce de ce jeune auteur de 24 ans est jouée partout en URSS. La comédie  Le Mandat  flirte autour du politique sans jamais évoquer directement « la bête ». En effet, cette dernière semble lointaine, échappant à toute responsabilité, à toute visibilité, donc très redoutable… Les personnages du Mandat - obsédés par une sécurité que l’on devine illusoire - partagent la même passion douloureuse pour la débrouillardise, la survie au quotidien…

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 

Avec Le Mandat, Erdman, comme Kafka ou Orwell, renifle la bête du totalitarisme. Mais avec ses propres armes : une constante dérision et un langage plus proche du cinéma que celui de la littérature traditionnelle. La farce semble si grosse, le système de pensée si absurde qu’il semble que l’auteur ait renoncé à le contrer ouvertement (il n’en sera pas moins envoyé 3 ans en déportation dans les années 30 puis assigné à résidence !). 

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 

Le Mandat  est aussi une comédie pleine d’entrain.  La mise en scène de Patrick Pineau nous convie à un véritable feu d’artifice vaudevillesque. Sur le mode de la farce, les personnages du Mandat slaloment sur une scène labyrinthique  s’engueulant, minaudant, pris entre caprices de l'Histoire et  minables combines de survie.  

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 

Le spectacle nous oriente vers un univers  proche de celui du cinéma muet et de la bande dessinée.Visiblement, le metteur en scène  a privilégié un mode burlesque et réaliste restituant l'esprit de   l’univers de Nicolaï Erdman .Sans doute, Erdman comme Kundera dans son roman  La Plaisanterie  (1967) a pressenti avec  Le Mandat, pièce visionnaire et prémonitoire, toute la férocité de l’oppression des systèmes politiques en gestation. 

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 

« Retenez-moi ou je fais arrêter toute la Russie avec ce document ! », s’exclame Pavel (acte II, scène 33) dans  Le Mandat. La paranoïa sociale, les mesquineries bureaucratiques et l’instinct de survie dans les périodes troubles de l’Histoire tissent la toile de fond de ce  Mandat. Au final, l'on recommandera la pièce pour  la drôlerie incisive du texte  et pour sa remarquable brochette de comédiens.

durée : 2 h 15

Le mandat
Texte : Nicolas Erdman
Mise en scène : Patrick Pineau
Avec François Caron, Ahmed Hammadi Chassin, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Virgil Leclaire, Jean-Philippe Lévêque, Yasmine Modestine, Nadine Moret, Arthur Orcier, Sylvie Orcier, Patrick Pineau, Elliot Pineau-Orcier, Lauren Pineau-Orcier et avec la participation de Jean-Philippe François et Christian Pinaud

Théâtre de la Tempête (salle Serreau)
Cartoucherie - Route du Champ-de-Manoeuvre
Paris 12e
horaires : du mardi au samedi (20 h), dimanche (16 h), relâche les lundis

jusqu'au 5 mai 2024

© Simon Gosselin
Le Mandat - Théâtre de la Tempête 


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