lundi 29 janvier 2024

Deux fois dans le même fleuve - La guerre de Poutine contre les femmes


Dans un essai  brillant et incisif intitulé  Deux fois dans le même fleuve  et sous-titré La guerre de Poutine contre les femmes, l'écrivaine finlandaise  Sofi Oksanen décortique à la fois l’invasion russe de l’Ukraine et la misogynie ambiante protégeant le régime en empêchant les femmes d’accéder au pouvoir.Dans ce livre lucide de pleine actualité, à la démarche davantage sociohistorique que féministe, il est beaucoup question de violences ; d'abord la plus crue,   celle des crimes sexuels des soldats de Poutine, commises à grande échelle et encouragées par le pouvoir. Depuis l'invasion de l'Ukraine  enquêtes journalistiques et judiciaires ont établi clairement une utilisation  massive du viol comme arme de guerre.  Un  constat  tristement banal ! En effet, de la Seconde Guerre mondiale aux ­attaques du Hamas contre ­Israël, le 7 octobre 2023, les violences sexuelles sont une composante invariable de toutes les formes de persécution des civils qui accompagnent les guerres. Une partie du livre de Sofi Oksanen nous rappelle cette cruelle et longue histoire dans laquelle l'arme du viol fut instrumentalisée, notamment à la fin du XVIIIe siècle  en Crimée par Catherine la Grande et bien sûr  par l'URSS de Staline, dont l'image, au passage, ne cesse d'être embellie  dans ce pays  qui n'a jamais véritablement fait l'expérience de la démocratie et qui dans le contexte actuel se tourne favorablement aux   « dirigeant à poigne » fussent-ils  « psychotiques ». En outre, l'autrice, née en 1977 d'une mère estonienne et d'un père finlandais, revient sur l’annexion de l’Estonie par l’URSS et sur la Guerre d'Hiver, qui    éclata en 1939 lorsque l'Union soviétique envahit la Finlande.  Par de nombreux retours historiques, elle nous rappelle le profond mépris teinté de racisme que l'URSS colonisatrice (thème curieusement peu exploré  par nos  historiens et nos essayistes,  plus bavards quand il s'agit de l'Algérie ou de l'Indochine !)  a infligé durant des décennies aux pays de sa sphère géopolitique.  Au-delà-même du racisme  et des nombreux crimes qui furent commis dans les pays occupés c'est l'identité même de ces peuples qui était visée. Dans le livre Deux fois dans le même fleuve, la Finlandaise  souligne l'agressivité belliqueuse de l'URSS, la mettant en parallèle judicieusement  avec l'idéologie actuelle du régime poutinien.  Ainsi, elle écrit : « Quand on regarde  avec les yeux du colonisateur, l'identité du peuple et sa quête d'indépendance basculent dans l'invisible. Le racisme russe  à l'égard des Ukrainiens et le fait de les traiter comme des êtres inférieurs ont renforcé l'image moscovite d'Ukrainiens soumis et incapables de résistance. Dans la conscience russe l'Ukraine mais aussi la Pologne et les autres pays de la Baltique sont considérés comme des inventions de  petits peuples émotionnels et hystériques. » (page 108).  Méticuleusement, pour mieux nous faire comprendre la Russie actuelle,  l'essai nous rappelle, malgré le bref rebond démocratique au début des années 1990,  le lourd héritage de l'Homo sovieticus : propagande, rhétorique fasciste, culte viril de l'Homme fort,  muselage de la presse.... Une autre partie du livre est consacrée aux femmes russes. Pour  Oksanen, il n' y a aucun doute. Dans la Russie de Poutine, l’égalité est en déclin et le régime, en pleine régression  quand il s'agit des femmes.   Alors que selon plusieurs médias européens le pays a subi une importante chute démographique de 550 000 personnes depuis le début de l’invasion de l’Ukraine,  leur mielleux et sinistre président demandait tout récemment aux femmes de son pays d'en faire au moins 8 (!). Pleinement d'actualité et  s'inscrivant dans une obsession nataliste, il ne s'agit pas seulement de renvoyer les femmes aux fourneaux et aux couches culottes ! Comme le rappelle Oksanen : « La fédération de Russie a besoin de femmes pour faire des enfants, pour entretenir le système, pour les élever dans la direction requise ». C'est le fameux « paquet de maternité russe » dont parle Schulmann, soit un homme = un soldat.  Par ailleurs outre les discriminations sexuelles de tout genre la Russie a légalisé (en 2017) les violences conjugales en assouplissant la législation. Oksanen rappelle par exemple que «le patriarche Cyrille a déclaré que la criminalisation des violences domestiques était une invention étrangère et que la loi de Russie avait le devoir de protéger les Russes des influences étrangères*  »  Virulent mais avec des arguments de poids  l'essai  de l'écrivaine nous montre que  le régime poutinien utilise sciemment la misogynie comme outil de pouvoir. Elle fait le constat suivant :   « Puisque la Russie n'a plus d'idéologie exportable telle que le communisme, elle utilise la misogynie, sous couvert des valeurs traditionnelles, pour trouver des alliés, mais aussi pour créer des communautés d'esprit dans les pays occidentaux où le principe d'égalité est fondamental. Cette instrumentalisation de la haine constitue une menace mondiale pour les droits des femmes et des minorités. La misogynie comme tactique est en effet un moyen d'affaiblir les démocraties et de renforcer les régimes autoritaires.  » (pages 11 et 12).

* Moscow Times 2020

Sofi Oksanen, Deux fois dans le même fleuve - La guerre de Poutine contre les femmes, essai, grand format, éditions Stock, 301 pages, 2023
Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli 


















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