Dans un essai intitulé L'ultime pouvoir Véronique Reille-Soult propose une analyse particulièrement fine du fonctionnement même des réseaux sociaux. Elle décrypte la haute ambition de ce « cinquième pouvoir » mais aussi ses travers et petitesses, proposant des pistes d'amélioration des plateformes numériques pour en faire un véritable sujet sociétal.
Experte en stratégies de réputation, en communication de crise et spécialiste de l'opinion, Véronique Reille-Soult est enseignante au Celsa-Sorbonne et maître de conférence à Sciences Po Paris. Dans une intéressante première partie, après avoir exposé le contexte socio-historique des réseaux et tenté de montrer en quoi ils répondaient aux attentes des internautes (besoin de s'informer, de divertissement, de communiquer avec sa famille, des amis, parler de son activité professionnelle, publier et visionner photos et vidéos...) l'autrice nous décrit minutieusement les mécanismes de chacun d'eux. En chiffres, entre récits et anecdotes, le livre fait particulièrement ressortir l'imagination et le professionnalisme marketing des plateformes actuelles. En effet, chacune d'elles remplit une fonction bien spécifique et s'adresse à un public précis. Comme les réseaux sociaux sont très nombreux et variés, ils doivent continuellement innover avec de nouvelles applications pour retenir les internautes au risque de les lasser. Toutefois, dans leur course effrénée à l'audience, les différents médias sociaux ne s'opposent pas toujours et peuvent être complémentaires. Ainsi, Véronique Reille-Soult commente dans son livre l'intéressant cas de Twich [racheté par Amazon en 2014], une plateforme de streaming lancée en 2011 et fort prisée des gamers. « Twich ne remplace pas Twitter mais apporte une fonctionnalité nouvelle, puisqu'à l'inverse de ce dernier, c'est un lieu participatif sur le temps long. On peut commencer une émission sur Twich et l'annoncer sur Twitter. » (page 47, L'ultime pouvoir). Facebook, Twitter, You Tube, Linked In, Instagram, Snapchat, Tik Tok... Clair et concis, l'ouvrage de Véronique Reille-Soult passe en revue ces stars de la communication planétaire qui en une vingtaine d'années se sont multipliées sur la Toile et occupent désormais une place prépondérante dans notre vie quotidienne. Les chiffres sont éloquents. Ainsi, en décembre 2022, 80,3 % des Français étaient inscrits sur les réseaux sociaux et 56,4 % en étaient des utilisateurs actifs. « Liker », « disliker », « swiper », partager, commenter, des activités en apparence plutôt agréables et inoffensives mais qui dans le livre de l'experte en communication semblent porteuses de tensions actuelles et futures. Elle écrit : « Pour être reconnu, il faut donc être dans l'excès... de verbe, de photos, de vidéos, de bonheur, de tristesse, de photos, de vidéos, de bonheur, de tristesse, de colère, de joie, d'émotion, etc. Un réseau social est devenu un lieu où l'on ne peut pas être comme les autres si l'on souhaite être visible, et donc un lieu où la vraie vie a finalement peu de place. » (page 23, L'ultime pouvoir). A maints égards le géant chinois Tik Tok se profile une des plates-formes les plus caricaturales du web avec son éternel slogan de jeunisme et sa pseudoconvivialité express. La durée maximale de leurs vidéos est programmée désormais à dix minutes. Comme le signale Véronique Reille-Soult cette spécificité est déjà concurrencée par une nouvelle plateforme nommée Likee*, une application de vidéos de quinze secondes. Dans une seconde partie, L'ultime pouvoir aborde plus particulièrement les dérives des réseaux sociaux (propos haineux, cyberharcèlement, fausses informations, théorie du complot...), d'autant plus prospères que se multiplient sur la Toile les vidéos truquées (shallow fakes et deep fakes). Le problème principal sur les réseaux sociaux reste la viralité de fausses informations, d'autant plus prolifiques que beaucoup de gens retweetent les informations sans même les vérifier (ou les lire). En effet, beaucoup de gens partagent des fake news, souvent persuadés de l'authenticité de l'information, contribuant ainsi à faire perdurer à la fois rumeurs et propos complotistes. (Dans un sondage réalisé par l'institut Odoxa en 2019, 30 % des Français reconnaissaient avoir déjà diffusé des fausses informations par erreur.) Au final, l'on conseillera cet intéressant essai de près de 200 pages qui a le mérite à la fois de proposer une description complète du fonctionnement des réseaux sociaux mais aussi de nous avertir sans alarmisme, nous en rappelant également les bienfaits, qu'ils font toujours courir une menace latente sur nos libertés.
Likee* note 2 (L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux (page 68):
Like est une application qui permet de créer et d'éditer facilement de courtes vidéos en utilisant une variété d'effets en réalité augmentée. Elle appartient à une entreprise singapourienne dont la société mère est Joly Inc., une firme chinoise.
Véronique Reille-Soult, L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux, essai, broché, grand format, éditions du Cerf, 216 pages, 2023
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