lundi 30 avril 2012

Spécial Théâtre : guerre, solitude et médisance


 photo : Brigitte Enguerand - Incendies

photo : Bruno Perroud - Les Cancans

photo : Antonia Bozzi - Tokyo Bar

Comment exprimer théâtralement la cruauté de la vie sans avoir obligatoirement recours aux robinets à larmes conventionnels ? Visiblement, un certain théâtre parvient à s’écarter de cette fatalité. Et actuellement l’on peut voir trois excellents spectacles qui proposent chacun à sa manière d’explorer la face sombre du monde : guerre dans Incendies, médisance dans Les Cancans et solitude dans Tokyo Bar.
Bien entendu leurs thèmes ne sont pas limitatifs, et chacune d’elle tend vers une certaine universalité. Incendies, Les Cancans et Tokyo Bar offrent en tout cas une percutante trilogie de spectacles…
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photo : Brigitte Enguerand - Incendies

Incendies

Avec Incendies, l’on est à la fois dans l’intimité des êtres et dans l’histoire avec un grand H… Son auteur, Wajdi Mouawad, a de quoi surprendre. Il écrit de façon stylisée de véritables tragédies contemporaines. Amoureux des mots et des mythes, son « théâtre épique » interroge le spectateur avec un constant souci de modernité. Incendies est le second volet d’une tétralogie amorcée en 1997 avec l’écriture de Littoral. Mise en scène par Stanislas Nordey, Incendies est une pièce oppressante, qui a pour cadre la guerre. L’on y perçoit le drame libanais, pays d’origine de Mouawad. Cette longue fresque, de plus de trois heures, débute par l’apparition farfelue d’un notaire bavard  au phrasé halluciné. Ce M. Loyal sert de fil narratif à Incendies, offrant un contraste avec  les silences  d’une famille tourmentée par un secret (les Nawal).   Cette histoire curieuse de deux jumeaux, qui à la suite de la lecture d’un testament partent à la recherche de leur mère et frère, se profile comme un road movie plongeant le spectateur dans les ténèbres de la prison, de l’inceste, du viol et des tortures morales. Par une scénographie sobre, les comédiens à la gestuelle expressive y défilent, tels des pions sur l’échiquier, exprimant par les mots leur refus de ce silence. Emouvante et paroxystique, Incendies suggère à la fois une possible rédemption de l’homme et l’intuition d’un monde meilleur qui naîtrait à la suite d’une culbute entre lumière et ténèbres. De grands moments théâtraux parsèment Incendies, lui donnant cet  « élan visionnaire »,  comme dans l’émouvante confession de Nawal devant le tribunal pénal international ou dans ces divagations philosophiques du sniper/killer/photographe, chantonnant Police et  Supertramp en plein carnage.
Terriblement beau et efficace !

durée : 3 h 20 (avec entracte)

Incendies, de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Stanislas Nordey
Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1, rue Simon Dereure
Ivry 94200

mardi, mercredi, vendredi, samedi (19 h 30) ; jeudi (19 h) ; dimanche (16 h) ; relâche les lundis

du 30 avril au 27 mai 2012

photo : Bruno Perroud - Les Cancans

Les Cancans

Avec Les Cancans de Goldoni, l’on pénètre dans les contours sinueux du paraître et de l’hypocrisie sociale. Le monstre Médisance, tour à tour caché et dévoilé, survole ces drôles de Cancans.  Le rythme virevoltant de la pièce, son ton badin, imprégné de conversations légères, le décor joyeusement désordonné de ruelles vénitiennes aux maisons à mille fenêtres, tout laisse  penser à une pièce inoffensive. En fait, il n’en est rien, et Les Cancans se profile, pour reprendre les termes de Stéphane Cottin (le metteur en scène), comme une « comédie cruelle ». D’emblée, le thème - des plus classiques -  de la comédie s’installe : deux tourtereaux, jeunes et beaux, préparent leurs fiançailles. Mieux ! Aucun castrateur du style Harpagon [L’Avare de Molière] dans leur proche entourage. Au contraire, les deux familles des élus préparent ce mariage avec délectation. Puis, rapidement, un deuxième cercle, constitué de gens moins proches (voisinage,  une amoureuse, des cousines…) et mécontent de ce  bonheur annoncé pour diverses raisons, occupe la visibilité de la scène. Parallèlement, au fil de l’évolution des racontars, une tension joyeuse s’installe dans ce  quartier en caquetage orgasmique permanent. La fiancée serait une bâtarde, puis est promue fille d’un marchand local de cacahuètes… Parfois, le sordide se mêle au merveilleux. Pour illustrer le propos moral du célèbre auteur dramatique italien et peintre critique des mœurs populaires, Cottin a eu l’excellente idée d’échapper au XVIIIe siècle. Il transpose  habilement l’intrigue de Goldoni dans une Venise des années 50, sur fond de rock and roll et de costumes délicieusement rétro. Et le résultat global s’avère des plus convaincants.
 Les Cancans séduit par une constante drôlerie et sa cruelle modernité.

durée : 1 h 20

Les Cancans, comédie cruelle de Goldoni
Mise en scène : Stéphane Cottin
Théâtre 13 / Jardin
103A, boulevard Auguste Blanqui 
Paris 13e

le mardi, jeudi et samedi (19 h 30) ; mercredi, vendredi (20 h 30) ; le dimanche (15 h 30)

du 1er mai au 10 juin 2012

photo : Antonia Bozzi - Tokyo Bar


Tokyo Bar

Avec Tokyo Bar, qui évoque la désintégration d’un couple bobo, l’on est d’emblée plongé dans les méandres de la solitude. Energiquement, Gilbert Désveaux met en scène  la pièce de Tennessee Williams (1911-1983), écrivain américain bien connu pour ses personnages fantasques, victimes de l’exclusion et naviguant le plus souvent au bord de la folie. Avec Tokyo Bar, l’on est particulièrement bien servi. Le personnage sacrificiel, Mark [Alexis Rangheard], est un peintre, le dernier représentant de l’expressionnisme abstrait, à la notoriété comparable à celle d’un Jackson Pollock. Cet artiste, outre ses problèmes de santé, est en état de délabrement mental.  Miriam, sa femme [Christine Boisson] veut le faire enfermer. Elle fait venir le marchand d’art Leonard, pour le faire interner aux Etats-Unis. Toute l’histoire se déroule dans un bar d’hôtel de Tokyo au luxe sobre et raffiné. Son décor zen et chaud, aux éclairages pastel, prend des allures de serre. Dans ce lieu à la fois neutre et mystérieux, toute la haine de Miriam envers son mari, faible et délirant, se déverse devant le regard indifférent du barman, témoin involontaire - et parfois malmené - de ce conflit inépuisable. Néanmoins, la compassion arrive à percer dans cette histoire au réalisme cruel, dans laquelle dégoût de soi et ressentiment vont de pair : le personnage de Leonard offre son aide morale au peintre, trahissant d’une certaine façon son engagement vis-à-vis de Miriam.
Avec une scénographie classieuse et son tonique duo (Boisson/Rangheard), Tokyo Bar se profile comme un grand cru théâtral !

durée : 1 h 30

Tokyo Bar, de Tennessee Williams
adaptation : Jean-Marie Besset
mise en scène : Gilbert Désveaux
Théâtre de la Tempête (salle Jean-Marie Serreau)
Cartoucherie, Route du Champ-de-Manœuvre
Paris 12e

du mardi au samedi (20 h 30) ; dimanche (16 h)

du 27 avril au 2 juin 2012


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